Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
25 janvier 2013 5 25 /01 /janvier /2013 00:00

Accablée de tout ce gris

Les bottes dans la boue

Joie ! Un bourgeon déjà !

 

Les arbres sont tous nus

Rouge-gorge affamé

Vite ! Remettre des graines

Écharpes, gros pulls et châles

Odeur du vin chaud

Bien-être au coin du feu

Le soleil est sous sa couette

Partir travailler ?

Envie de faire comme lui

Laisser le passé s’estomper

Ouvrir grand la porte

Pour la nouvelle année

L’hiver glisse vers le printemps

Cinquième saison

Ouvre-nous un passage

Par Ackane

Égarée, là, dans le froid

Une fleur de pervenche

Frissonne de courage

 

 

Silence de la nuit

Fraîcheur de la terre humide

Matins délicats.

Folle nuit de l’an

Robes de soirée, champagne à flot

Temps neuf et joyeux.

Aller écouter

Dehors au jardin figé

Le chant des oiseaux.

La nuit tombe déjà

rentrons vite à la maison

rouler sous la couette.

Joli jour de l’an

Lumière nouvelle dans le ciel

Bientôt le printemps.

Fraîcheur des sentiers

Parfums tendres et doux des prés

Envie de marcher.

 

Par Clo Th.

 

 

De bruit enivré

Yeux ronds, tête au carré,

Très belle année !

Bises et baisers,

Embrassades planifiées,

Aïe, lèvres gercées !

Ambiance feutrée,

Jolies robes de soirée,

Maison désertée.

 

 

Par Annie

 

 

 

 

Neige.jpg

 

Temps qui ralentit

Chaud sous la couette, froid dehors

Tac-tic fait l'horloge.

Soleil rouge si bas

Vol solidaire d'un oiseau

Dans la neige, mes pas.

VLG

Partager cet article
Repost0
21 novembre 2012 3 21 /11 /novembre /2012 00:00

 

Les peignes de ma mère

Ils étaient de couleur marron, avec des reflets ambrés lorsqu’on les présentait dans le soleil.
Enfant, je les trouvais jolis pendant que je regardais ma mère se coiffer face au grand miroir fixé sur le mur blanc.
C’était tout un cérémonial cet instant de coiffure.
Je la voyais brosser lentement ses cheveux gris avec cette brosse facilement identifiable car remplie de cheveux gris et blancs. Personne ne pouvait se tromper, personne n’avait envie de se servir de SA brosse qui était pour nous un peu repoussante.
Puis elle prenait le grand peigne à manche pour lisser ses cheveux secs et rebelles et réalisait alors avec sa main, un cran à gauche dans sa mèche, y plantait un des ses deux peignes qu’elle avait posés tout près d’elle sur  le rebord de la fenêtre.
Suivait, en symétrie la confection du cran de l’autre côté.
J’étais fascinée devant cette sculpture, et restais,  là, à constater la lente évolution de cette construction.
Venait alors le moment crucial, tant attendu, où elle roulait en un chignon long, le reste des cheveux, y plantant quelques épingles pour faire tenir l’ensemble.
C’était magique ! Elle était coiffée !
Ma mère prenait le miroir rectangulaire suspendu sur l’autre pan de mur et vérifiait par un jeu de reflet de glaces, rempli de mystère pour moi, la réussite de son œuvre.
Parfois, il fallait tout reprendre, parfois, satisfaite de l’ouvrage, elle chantonnait, heureuse, ajoutant une touche de poudre de riz sur son visage, lissant ses pommettes avec la houppette plus colorée, elle me disait alors : « Prépare-toi, on va être en retard pour la messe ».
Alors, je m’extirpais lentement de ma contemplation, et faisais ce qu’on attendait de moi.

J’ai récemment retrouvé un de ces peignes marron appartenant à ma mère.

Tous les souvenirs sont réapparus instantanément, l’odeur de la poudre de riz, les bruits de la maison ces dimanches matins avec cette radio qui diffusait l’accordéon à tue tête si mon père était absent.
Mon frère aîné, venait alors nous chercher, mes sœurs ou moi, pour valser quelques instants. Moments de délires interdits, de bonheurs volés.
Je vous parle des années cinquante, ces années d’après guerre, où la joie était aussi nécessaire que la nourriture.

Mimo

 

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

Circonvolutions.jpg

Elle est assise, ou plutôt enroulée sur le canapé, petite boule maigrichonne, toute en jambes poussées trop vite, tête brune rentrée dans les épaules.

Sara a passé ses mains autour de ses genoux, et, yeux mi-clos, semble s’être retirée dans un univers qui n’appartient qu’à elle.

Dans la cuisine, Igor, qui observe sa fille depuis un moment, ne sait s’il doit interrompre ou non sa rêverie mélancolique.

Il  pense que Sara est en train de changer, qu’elle n’est plus la petite chipie rieuse qui s’accrochait dans son dos et serrait très fort ses petites mains autour de son cou.

Il se doute de ses questionnements, se remémore son propre parcours : « à un moment, se souvient-il, j’ai brisé le cercle de mes certitudes, repoussé les limites qui me menaient de moi à moi. Mon centre du monde a volé en éclat.

Est-ce donc cela, quitter l’enfance ? »

Il va et vient dans la cuisine, cet espace qui était pour lui, il n’y a pas si longtemps, un lieu transitoire, café vite avalé, zut encore à la bourre, bol à moitié plein posé dans l’évier.

Petit à petit, il s’est approprié l’endroit, n’a pas changé grand-chose, juste déplacé quelques ustensiles pour les ranger dans sa logique à lui. Il se dit qu’il aimerait bien repeindre les murs, quelle idée d’avoir choisi un ton aussi fade, aussi inexpressif, ce beige qui hésite entre coquille d’œuf et sable. Il a envie d’une couleur franche et éclatante, mais n’arrive pas à se décider : rouge, trop agressif, bleu trop froid, vert, il n’aime pas vraiment…

Il a demandé son avis à Sara, mais n’a obtenu qu’un « si tu veux », et quand il a insisté, un « oui, oui, c’est bien», d’un ton las qui traduisait l’effort démesuré fourni par sa fille pour émettre un avis aussi critique et définitif sur la question-essentielle-du-choix-de-la- couleur-des-murs-de-la-cuisine.

Son regard plein de compassion se tourne vers Sara qui a peur, petit être en devenir, consciente de n’être plus tout à fait une petite fille, mais ignorante encore des chemins de traverse qui la mèneront vers sa vie de femme.

« Jusqu’à maintenant, pense encore Igor, son univers ressemblait à un grand cercle très délimité par des repères, mais dont les contours, tout en légèreté et en élasticité, loin de l’enfermer, lui donnait une sensation de cocon douillet et confortable. Sara était libre d’y aller et venir, d’y entasser ses jouets, peluches et rêveries. »

Dehors, la nuit déploie sa masse sombre et s’invite doucement dans la maison.

Igor n’a pas encore fermé les volets. La rue, comme chaque soir, a déversé son flot de voitures et s’ensommeille maintenant dans le clair-obscur de cette fin de journée.

Seul, les phares de quelques retardataires trouent encore la pénombre et, en passant, éclairent brièvement le visage de Sara.

« Elle est pâlotte, ma Sara », constate Igor, et une sensation indéfinissable l’envahit. Rien de très douloureux, de très palpable, pas même un coup de poing à l’estomac, plutôt un pincement, mais qui cependant l’oblige à respirer plus profondément, à aller chercher l’air plus loin, plus longtemps, tandis que son pouls s’accélère et qu’un sentiment fugace, évanoui avant même que d’être identifié, lui laisse une petite tristesse tout au bord du cœur.

Avec la mère de Sara, ils avaient beaucoup de projets, mais leurs rêves étaient très sages en vérité : la maison, les enfants.

Sara n’a pas eu de frères et sœurs. Quand elle est née, ils avaient déjà cessé de rêver ensemble.

Ils ont laissé filer le temps.

C’est elle qui est partie. Il a gardé le pavillon.

Maintenant,  Sara se partage.

Un peu là, un peu là-bas, pas vraiment là, pas vraiment là-bas non plus.

Deux cocons qu’elle a du mal à relier, et lui laissent une impression de vide.

Cercle brisé, contours devenus flous, et Sara qui a peur…

 

Ce soir, Omar va passer et rester dîner avec eux.

Omar, témoin de leur vie d’avant, qui se souvient des moments joyeux et serait sans doute incapable d’évoquer des choses tristes, tant ses yeux semblent n’être faits que pour capter la lumière et la rediffuser à l’envi.

Elle aime quand il est là, ça la rassure.

Omar est le fil rouge de ses existences, il relie passé et présent, et il lui plaît de penser qu’il sera là encore, avec son inépuisable joie de vivre, pour l’aider à poser les jalons d’un chemin incertain qu’elle ne nomme  pas encore avenir.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

Ciel-etoile-et-lune.jpg       

LUNA

 

          Dans le bruit envahissant du roulement régulier du train, Luna se laisse submerger. Elle est lessivée, H.S., anéantie. Les bras lui en tombent d’hébétude. Elle imagine ne jamais se remettre de ces mots qu’on lui a jetés, à la hâte, sur le quai de la gare, dans les secondes qui ont précédé, avec un claquement sec et définitif, la fermeture des portes. « Jean a disparu ! ».

Jean a disparu dans la nuit brune des voyages sans retour...

Jean… Jean… Jean… Le souffle coupé par l’émotion, elle hoquète son nom. L’air lui manque.

         Seule dans son compartiment, elle a laissé choir ses bagages et a abaissé, en un geste lourd de colère et de peine, le battant de la fenêtre. Le vent, en mugissant, s’est engouffré par l’ouverture béante. Il siffle, rageur, emportant en folles spirales quelques vieux papiers oubliés là. Dans un rayon de soleil, des grains de poussière, comme pris de folie, voltigent, tournoient en tous sens. Dans la tempête de l’étroit habitacle, les mèches de Luna glissent, tombent, se dérobent, s’entremêlent, tandis que sous son crâne, dans son cœur, son corps, un ouragan d’émotions fait rage.

          Alors pour se libérer de ce qui menace de l’engloutir, de toutes ses forces, dans un cri violent et déchirant, comme dans un ultime appel, elle hurle son nom. JEAN !  

 

          C’était un brave gars, un gros-bras, un dur à cuire, et il avait fière allure. Les filles attablées ne se lassaient pas d’admirer le roulement de ses épaules, quand il passait, le samedi soir, devant le café, pour venir la chercher. Elles le regardaient, l’épiaient, le zieutaient, le reluquaient et plus d’une rêvait de s’occuper de sa lessive. Dénouer autour de son cou ce petit foulard qui lui donnait cet air canaille… Faire glisser sa chemise… cette chemise qui abritait son grand cœur d’artichaut penchant tantôt pour l’une, tantôt pour l’autre, incapable de refuser, de décider, de trancher.

       Ca lui était égal à elle, ces murmures, ces œillades, ces sourires décochés à son intention. Elle aimait à croire qu’avec elle, Luna, c’était différent,  que ça l’avait toujours été. Dès les premières minutes.

 

         Elle, Luna, aimait danser dans la nuit, puis s’en revenir, seule, par la campagne. Elle coupait à travers champs, s’enivrait des odeurs, des chuchotements, des frôlements. Légère d’une belle et joyeuse fatigue, elle avait pris l’habitude, à mi-chemin, de s’adosser dans l’obscurité profonde d’un vieux cèdre pour contempler le firmament. C’est ainsi qu’elle l’avait découvert, par une chaude nuit d’été, dans la lumière blanche de la lune à son zénith, les pieds ancrés dans la terre et le nez dans les étoiles. Jean.

           Quelle magie avait opéré ce soir-là et les soirs qui suivirent ?

          Couchés dans l’herbe jour après jour gorgée de chaleur estivale, le regard perdu loin au-dessus d’eux, ils ne s’étaient jamais rencontrés cet été là alors que dans le noir.

 

          Au fil des années, leurs vies s’étaient mêlées. Certes,  chacun de leur côté, dans les heures bruyantes, effrénées et contraignantes des journées de labeur, ils s’étaient appliqués à construire, à conduire leurs vies chargées d’ambitions et de rêves. Lui, toujours un peu papillonnant dans tout ce qu’il entreprenait, elle, plus sérieuse, plus calme et posée

          Dès qu’ils le pouvaient, ils s’en échappaient pour se retrouver. Ils partaient alors en grandes et vigoureuses enjambées, comme pour fuir leur quotidien, sur des sentiers inconnus qu’ils exploraient ensemble.

        Comme elle les attendait ces moments-là ! Auprès de lui, avec lui, elle se sentait tellement vivante ! Quand ils partageaient la fraîcheur des petits matins, alors que le brouillard, en langues mouvantes, venait lécher la plaine… Quand, couchés l’un près de l’autre dans l’herbe haute, proches à se frôler, à s’effleurer, ils scrutaient le vol des oiseaux qui, à chaque automne, animaient le ciel. Vivante comme jamais !

           C’est lors d’un de ces instants délicieux qu’elle avait eu cette certitude. Ils attendaient côte à côte l’étincelante beauté du jour émergeant lentement de l’horizon, quand, dans une fulgurance,  elle avait eu cette évidente intuition. Jean. Son âme sœur. Son one and only one. Son Homme à elle, fait pour elle. C’était lui.

         Comme la lumière montante qui donnait à chaque creux du chemin, chaque brin d’herbe, une réalité aigüe, Jean agissait sur elle comme un révélateur. Auprès de lui, elle était  dotée d’une acuité nouvelle. Les couleurs étaient plus vives, le vent plus caressant, le monde plus brillant. Du plus profond d’elle montaient des tsunamis d’émotions, des tornades de sentiments qui l’emportaient, menaçaient de la submerger. Les pensées dans sa tête tournoyaient, n’en finissaient plus de se faire et se défaire. Tout cela était trop. Trop nouveau. Trop intense. Trop effrayant aussi. Il valait mieux qu’elle dompte d’abord tout cela, qu’elle apprivoise ce volcan qui s’éveillait en elle et qui menaçait d’emporter les derniers lambeaux de sa raison.

          Le temps était passé sans qu’elle n’en dise rien, sans qu’elle n’en montre rien. Sa tête s’était emplie de rêves de sensualité, de voluptés. A chaque frôlement impromptu de leurs mains, de leurs corps, la peau lui brûlait. Elle devenait attentive à chaque détail. Ce grain de beauté, là, au creux de son cou où elle rêvait de poser les lèvres, et y humer l’odeur chaude, intime du corps. Ces petites ridules aux coins des yeux complices et tendres. Ses lèvres pleines qui s’ouvraient dans des éclats de rire qui la chaviraient. Dès que le vent agitait ses boucles brunes, elle devait serrer les poings dans ses poches, tant la suppliciait l’envie d’y glisser la main, d’y mêler ses doigts.

 

         Et puis… Et puis la vie… Ils leur avaient fallu partir. Elle, à Paris. Lui, au-delà des mers. Un an. Luna s’était raisonnée, presque soulagée. Un an lui permettrait de reprendre les choses en main, lui donnerait le temps, du temps. Elle ne savait pas trop pour quoi. Mais ça serait un an pour elle, pour se retrouver peut-être ?

          Les kilomètres n’avaient rien aboli mais elle avait trouvé un peu d’apaisement. Loin de lui, les sentiments étaient restés intacts. Le tumulte du corps, de l’âme s’était apaisé. Mis en sourdine. Comme sur un piano. La pédale est enfoncée, le son est assourdi, mais la musique est toujours là. Ils s’étaient écrits, préservant ainsi leur vibrante complicité. Elle avait goûté à l’attente impatiente, au délicieux plaisir de la pensée couchée sur le papier, avait fait rouler voluptueusement sous ses doigts des mots chargés de tendresse, de rires, de manque. Ils avaient nourris leur propre histoire de toutes ces phrases jetées en un pont, comme un arc en ciel au-dessus de l’océan. Enfin ils avaient convenu, dans un même élan, de se retrouver sous le ciel étoilé, dans l’ombre du grand cèdre. Le jour avait été fixé, mais point l’heure afin de préserver le plaisir de se surprendre.

           L’été était arrivé. Le cœur impatient, affolée, elle avait pris ce train. Ce train vers lui. Mais la nouvelle était tombée. Son avion s’était abîmé en mer et n’avait laissé aucun survivant. Jean… Jean… Jean… englouti dans les eaux noires de l’océan. Trou noir. Trou béant dans lequel la raison de Luna menace de sombrer.  

 

          Au milieu de la tempête de chagrin, de colère, de douleur qui la ravage, Luna, pour ne pas céder à l’envie de hurler jusqu’à la folie,  tente avec obstination de s’accrocher à cette petite lueur qui s’est mise à luire faiblement en elle, à mesure que les roues du train, dans leur insupportable vacarme, la rapprochent de chez elle. Gala ! Elle irait auprès de Gala !

          L’image est précise. Gala serait seule dans le lavoir. Les bras meurtris de tout le linge qui était passé entre ses mains jadis et qu’elle avait battu, tapé, roulé, tordu, essoré. Son visage buriné, presque tanné, si  fripé, si ridé qu’il n’en avait plus d’âge, le dos courbé, plié en deux, les mains posés sur ses genoux, elle serait assise comme elle aimait le faire aux beaux jours, pour profiter de l’ombre du grand toit de lauze, goûter au silence rompu par le bourdonnement du vol paresseux de quelques mouches et par le chant des cigales. Gala l’aïeule, Gala la sage, dont on disait qu’elle se souvenait du pourquoi de chaque chose. Ainsi la trouvera Luna.

          Alors elle posera sa tête sur ses genoux tandis que les vieilles mains caresseront son visage pour y chasser les larmes. Quand la boule qui l’étreint, qui empêche l’air et les mots de passer, s’envolera, alors Luna posera tous ces pourquoi qui hurlent en elle. Pourquoi ? Pourquoi n’avoir rien dit ? Pourquoi un tel gâchis ? Pourquoi lui, l’avion, elle… Pourquoi poursuivre, continuer, recommencer … Pour quoi, pour qui…

          Sous les mains douces de la vieille femme, le réconfort de sa voix, dans la caresse du vent d’été, le bruissement des peupliers, l’odeur des blés murs, de la menthe fraîche qu’on a foulé, dans le rouge du coquelicot, le vol majestueux et silencieux des hérons, dans l’eau fraîche qui ruisselle et clapote, la coccinelle sur la pierre, le murmure du ruisseau, Luna trouvera l’aide qui lui manque pour puiser au plus profond d’elle l’envie de vivre encore.

VLG

 

Coquelicot dans champs de blé

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

 

Le disque sombre et inerte


Tôt le matin la petite fille erre seule dans le jardin humide. La rosée anime les lents escargots du buis taillé à la perfection. Elle pose le regard sur les outils que son père méticuleux tient rangés en un strict alignement, dans la cabane verte adossée au mur de pierres sèches. Les plants de légumes sont au cordeau, piqués avec une rectitude rassurante le long du mur.

Au centre, le seau en zinc est à sa place sur la margelle, prêt à disparaître au fond du puits béant et son cercle parfait. Tout est en ordre. Cet ordre l'apaise. Seul bruit que celui de ses pas sur le gravier blanc. Elle aime à se faire légère afin de le faire crisser le moins possible et respecter la sérénité présente.

Elle déambule ainsi dans l'allée qui ceinture ce lieu où elle oublie ses peurs.

Car Irène a peur de tout. De tout ce qui bouge et dont la raison du mouvement lui échappe. Les gens, l'eau, le vent, les animaux, les vélos, les voitures. La vie.

Sa lente progression sur l'allée en colimaçon la rapproche peu à peu du puits. Elle ne se hâte surtout pas, prenant plaisir à ce moment de solitude et à l'éloignement de ses craintes restées au-delà du mur. Enfin elle y parvient. Le zinc de l'anse est froid dans sa main. La fraîcheur humide la fait frissonner lorsqu'elle accroche le seau au crochet rouillé. Délicatement elle dévide la chaîne par la poulie graissée et suit du regard le seau qui disparaît bientôt à sa vue dans l'obscurité calme. Nulle peur. Nulle crainte.

Le cliquetis de l'anse l'informe que la destination est atteinte. Elle laisse le seau s'emplir. A chaque fois qu'elle vient ici elle espère abandonner définitivement ses peurs d'au-delà du mur dans ce trou noir et profond. Elle espère contempler dans le miroir de l'eau posé sur la margelle en pierre son image apaisée. Mais nul miroir. Seul comme toujours un disque sombre et inerte se présente à sa vue. Elle reviendra.

Mais elle sait qu'elle va, hors du jardin et de sa rassurante quiétude, retrouver ses peurs, toutes ses peurs.

 


P1050316                      Le cercle vif et agile


Le soleil rougeoyant sort peu à peu de la mer et prend son envol au dessus du lagon. Les tortues ont rejoint la limpidité des eaux, laissant derrière elles leurs œufs enfouis tandis que Moustafa s'éveille, la tête encore à son rêve qui va prendre aujourd'hui forme.

Deux semaines auparavant il s'est mis en recherche fiévreuse de l'objet convoité. Il le lui fallait ni trop grand ni trop lourd. Juste à sa taille afin qu'il puisse le maîtriser, juste du bon poids pour qu'il dévale la route poussiéreuse sans qu'il ne lui échappe. Il fallait aussi qu'il ne lui cause pas trop de peine pour le hisser en haut des côtes. Qu'il ne soit pas trop large non plus mais assez stable pour se jouer des nids de poule et des ornières piégeuses.

En revenant de l'école Mustafa l'a repéré dans la cour, abandonné près de l'épave d'une voiture accidentée. Il s'en est approché, appréciant la couronne de gomme sombre et inerte, qu'il se savait à ce moment capable de transformer en un bolide vif et agile. Il s'est choisi deux solides bâtons qui lui permettraient de guider, freiner, pousser son pneu sur la route de la victoire. Que de fois Mustafa a entendu ébahi les exploits de ses grands frères.

Deux semaines durant, il s'est entraîné dur au retour de l'école. Rétif au début, le pneu s'est laissé peu à peu maîtriser, apprivoiser, pour former avec l'enfant un tandem uni et efficace, jamais ne s'éloignant, pas même la nuit lorsque Mustafa le déposait sous son lit par crainte qu'on ne le lui dérobe.

C'est le grand jour. Mustafa hèle un taxi brousse. Le conducteur propose au petit garçon de hisser son encombrant bagage sur la galerie mais pas question, il tient à le garder près de lui. Les passagers sourient à cet entêtement dans lequel certains peut-être se reconnaissent, ayant nourri eux-mêmes autrefois ces rêves de gloire.

Dans un nuage de poussière le taxi surchargé et brinquebalant s'immobilise au milieu d'une foule bigarrée en effervescence. Des pneus de tous calibres, des plus petits aux plus monstrueux, attendent en piaffant le départ imminent.

Le soleil est très haut, la chaleur écrasante.

Aujourd'hui Mustafa va gagner la grande course annuelle de pneus.

Serge

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

PB120364

 

La montagne, ça vous gagne !!!

 

Couchée dans la luzerne fleurie de pompons rosés, Justine profite enfin de ses congés. Elle les a attendus longuement, patiemment ;  la voilà à  son deuxième jour de vacances.

Elle s’est sauvée, valise vite bouclée par le premier train la conduisant dans la région de Grenoble.

Elle a réservé un peu à la hâte une chambre aux « Septs Laux », station très prisée l’hiver, mais désertée l’été.

Les prix étant très attractifs, Justine ne s’est pas posée longtemps de question, elle a signé pour quinze jours de montagne.

Elle sourit se rappelant  cette vieille campagne de  pub : « la montagne çà vous gagne » . C’est exactement son sentiment actuel.

Retrouver les grands espaces, les massifs majestueux, la marche le long des sentiers, transpirer sac au dos pour se rendre à tel refuge,  pour déjeuner dans un gîte perdu sur des crêtes.

Elle n’a pas encore établi de programme et savoure cette journée ensoleillée, le nez dans l’herbe à sentir la chaleur monter doucement.

A cet instant elle apprécie : le silence, l’herbe si verte et ce ciel complètement lisse dégagé de tout nuage.

A contempler ainsi la voûte céleste elle savoure ce moment de réelle plénitude.

Ah ! Que c’est bon !

Elle étire ses bras longuement, ses jambes, se replonge dans la contemplation de ce ciel si lumineux, si limpide, que ses yeux se rétrécissent sous l’intensité éblouissante.

Elle croit apercevoir tout là haut des rapaces, mais ils sont si loin, si petits- on dirait des mouches- qu’elle n’est pas certaine de ce qu’elle repère.

Sa vue s’aiguise peu à peu et distingue mieux des aigles, selon toute vraisemblance,  tournoyant majestueusement dans une chorégraphie silencieuse, qui leur est propre.

Elle pense aux aigles car ils sont devenus,  il y a déjà quelques années une espèce protégée, et sont désormais beaucoup plus nombreux.

Ils ont l’air si libres !

Voler !

Voir le monde d’ici bas en miniature, ça doit donner une impression vertigineuse?

Justine aimerait faire des essais de parapente pour voir.

Lui faudrait tout d’abord dépasser cette sainte frousse qui lui tord le ventre  à cette simple évocation.

Mais c’est ça, oui, elle aimerait être l’oiseau là haut qui plane langoureusement.

Sa longue contemplation, associée à la fatigue de l’année de travail et au voyage ont eu raison de ses forces.

Elle dort !

Des moucherons se posent sur son chemisier mauve, des fourmis galopent sur ses jambes nues, certaines tentent même une incursion dans les chaussures ; celles ci lacées très haut et bien serrées empêchent toute entrée intempestive.

Des mouches, des taons, des abeilles bourdonnent autour d’elle venant ici ou là inspecter ce corps étranger, totalement inerte.

Rien ne dérangera la belle endormie.

Combien de temps est elle restée là ?

Elle s’éveille sentant la fraîcheur pénétrer ses membres, lui  courir le long de la colonne vertébrale.

Il fait presque frais. Le soleil a basculé derrière la montagne, elle se retrouve à l’ombre.

Quelle heure est il ?

Elle s’étire lentement, se réveille difficilement, ne retrouve plus dans le ciel les rapaces qu’elle a aperçus avant de sombrer.

A leurs places de petits nuages blancs sont apparus. Ils sont légers, aériens, dessinent des formes qu’elle s’amuse à nommer : un chien, de la chantilly, une mouette, du coton, un visage…

Elle reste couchée là, elle est bien un peu alanguie un peu rêveuse, paresseuse.

Sa montre consultée du coin de l’œil - on ne perd pas la gestuelle en quarante huit heures - lui indique : seize heures quinze. Ah ! Déjà !

Il faudrait penser à bouger, à redescendre.

Elle va boire un peu d’eau avant de  prendre le chemin du retour.

Elle tend la main gauche vers son sac à dos, déposé à ses côtés en arrivant, ne le trouve pas, tend la main droite, non plus. Du coup la voilà assise en une fraction de seconde ; son sac ? Où est son sac. ?

Rien autour d’elle sinon ce champ de luzerne verte, piquetée de fleurs.

Elle réalise soudain qu’on est venu lui voler, pendant son sommeil… qui ? Quand ? Pourquoi ?

Elle avait choisi ce champ isolé, à une petite demi - heure de marche du sentier balisé pour être tranquille.

Elle a tout dans son sac…

Ses poils se dressent sur ses avant bras en réalisant ce que cela signifie : quelqu’un l’a frôlée, l’a vue dormir, a pu l’épier, et puis surtout : pas d’eau, pas de pull, pas d’argent, plus de papier…

Qu’avait-elle mis dedans au départ ?

Préparé après le petit déjeuner qu’elle avait pris fort tard contrairement à ses habitudes, elle résume :

*mon pull bleu, ma polaire, ma cape rouge, une bouteille d’eau, deux barres de céréales, mon portefeuille…

Son portefeuille ??

Ah ! Mais ça veut dire : carte bleue, chéquier ? …

Non ! Le chéquier elle ne l’avait pas pris,  elle en était sûre, problème de poids…

Sa monnaie !

Combien avait-elle emporté ? Trente ? Cinquante euros ?

Comment poursuivre ses congés ?

Un tumulte l’envahit peu à peu devant les questions multiples qui montent  à  son esprit en rafale.

Qui pouvait lui avoir fait un truc pareil ?

Du coup, elle se relève tout à fait pour scruter lentement les alentours.

Tout est uniformément vide de trace humaine, imprégné d’un silence complet.

Elle fait le tour de son emplacement dessiné sur l’herbe, sa silhouette est là, comme  une empreinte.

Rien d’autre.

Elle se met à quatre pattes pour y regarder de plus près, tel un chien flairant une piste.

Il lui semble que la luzerne est couchée sur la droite …pleine d’espoir elle suit ce qui semble avoir été piétiné.

Elle parcourt ainsi les quatre cent mètres la séparant de la sortie du champ.

Elle trouve, juste sous le fil barbelé servant de barrière, sa cape rouge.

Est-elle tombée de son sac en entrant ou est ce un signe, un indice, un espoir ?

Un peu ragaillardie, elle se met sur ses deux jambes se faufile sous la clôture et part à grandes enjambées.

Elle enfile sa cape fraîchement retrouvée, l’ombre s’étend lentement.

 En montagne elle sait que cela signifie : la nuit qui arrive.

Sa belle sérénité s’est envolée d’un coup ; une sourde anxiété rythme ses larges foulées.

Elle rumine : son sac, ses affaires, qui ? Quand ? Pourquoi ?

Enfermée dans ses questionnements, elle  ne voit pas au croisement de deux sentiers,  une masse sombre appuyée le long du talus.

Quand un grognement effrayant la pétrifie, stoppant net sa marche, là, sur place,  tous ses sens en alerte maximum, tels des voyants rouges clignotants.

Une sorte de rugissement, de reniflement, de souffle puissant, enfle tout près d’elle.

Elle ose tout juste pivoter légèrement la tête, et voit alors cette forme large, haute, énorme !

Son sang se glace, elle se liquéfie littéralement  : un ours !  Il y a,  à cent mètres d’elle,  un ours !

Il lui tourne le dos et semble affairé, penché sur quelque chose qu’il serre sur le ventre.

Au sol elle perçoit une tache bleue : son pull !  Elle en est certaine,  c’est son pull !

Justine  comprend en une fraction de secondes la situation.

L’ours a emporté son sac à dos pendant sa sieste ; il est donc venu à moins de cinq mètres d’elle !

Tétanisée, avalant  difficilement sa salive, ses membres sont pris d’un tremblement irrépressible, son cœur cogne violemment dans sa poitrine.

Un ours ! Un véritable ours !

Elle détale aussi soudainement  qu’elle s’est arrêtée,  il y a trois secondes.

Elle court, elle court, longtemps, encore, encore !

Après cette course effrénée,  dont elle n’évaluera jamais  la durée,   elle s’écroule sur le sol, se jette en boule sur le bord du sentier pour tenter de calmer les battements de son cœur qui tape à  coups d’enclume, tant dis  que ses poumons explosent.

Souffle coupé, gorge sèche et en feu, elle a mal partout, a un point de côté qui lui déchire les flancs, elle halète, en nage, des larmes d’épuisement, de peur commencent à couler sur ses joues.

Elle suffoque, asphyxiée, submergée.

Plus tard, beaucoup plus tard, titubant de fatigue, tout en soliloquant,  tête basse, sur les grandes vertus de la montagne en rentrant,  nuit tombée à son hôtel, Justine  se dit :  « la montagne, la montagne…hum » !

« Non, non, non,  personne ne croira jamais une telle  histoire »

Elle pousse, frissonnante, exténuée, la porte de verre de l’hôtel, la pendule de l’accueil lui indique : vingt et une heure douze.

Elle s’écroule sur le fauteuil de l’entrée, incapable pour l’instant de faire un pas de plus.

 

Mimo

 

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

photo-du-texte--rouge.jpg

 

Rouge

 

Jour 1

            Je suis un condamné. Un condamné à mort.

            Je suis surpris car je ne savais pas que l'on me donnerait ce papier et ce crayon et ce temps encore pour les utiliser. Mais c'est la première fois que je suis condamné à mort alors je ne peux pas être au courant de tout. Des usages, des us et des traditions de la chose.

 

            C'est un droit que j'ai.

            Je ne sortirai pas de cette cellule avant d'avoir noirci ce papier.

            Un mot ou un livre, comme je veux.

            J'ai longtemps attendu. Mon avocat m'a dit que ce n'était pas grave, que je pouvais prendre le temps que je voulais, que maintenant que tous les recours avaient été épuisés, la décision définitivement actée, il n'y avait plus rien de pressé.

            Vous allez penser que j'aurais pu ne rien écrire, jamais, et mourir ainsi de ma belle mort.

            J'aurais pu, oui.

            Mais eux ont très envie de glisser mon cou dans le nœud rond de la corde des pendus et moi je n'en peux plus d'être coincé ici.

 

            Savez-vous que la cellule d'un condamné est ronde ? Oui, parfaitement, ronde. C'est un autre droit que j'ai. Pour adoucir sa fin de vie, pour l'accompagner dignement vers la sentence, on épargne à un condamné la vue de toute arête abrupte, de toute forme cubique.

            Mais moi, je n'ai jamais supporté les ronds ou les cercles.

            J'ai toujours préféré les lignes bien nettes et les virages à angle droit.

            Alors j'écris, parce que j'ai vraiment envie de sortir d'ici.    

 

Jour 2

            Je ne m'étais jamais lancé dans l'écriture alors me retrouver devant cette feuille blanche, aussi soudainement et dans ces conditions, ça me stresse.

            C'est marrant, le blanc et le rectangle de la feuille m'impressionnent tant que j'en oublie ma mort programmée.

            Je ne sais pas quoi écrire mais je sais ce que je ne dirai pas avant de sortir d'ici. Je ne dirai pas que je veux vivre. Rien en moi n'a pris réellement conscience de ma condition de futur corps suspendu dans le vide, corps vainqueur de la pesanteur grâce à la force implacable de la corde qui le retient à une poutre. Qui le retient par le cou. Je ne m'identifie en rien à ce corps mou. Rien en moi ne hurle que je veux vivre car rien en moi ne sait vraiment que je vais mourir.

            Je sais juste que je veux sortir de cet œuf ridicule.

            Il faut se rendre compte quand même qu'ici comme ailleurs, ce n'est jamais la base qui décide. C'est une constante incroyable, une immuabilité de la hiérarchie, partout et de tout temps. J'ai dit à mon avocat tant de fois à quel point ce mur unique, lisse et courbe me rendait fou. Il y a les anciennes cellules juste à côté pourtant.

            J'ai rencontré trois fois le Professeur Mollet. Mollet, directeur de la mission Mollet : "Humaniser la peine capitale". C'est lui l'idée des cellules rondes. Il l'a à chaque fois bien défendu d'ailleurs son idée. De mon côté, je n'ai pas su argumenter. Je ne faisais que répéter : "Sortez-moi d'ici, sortez-moi d'ici…" Mais à la fin, c'est toujours lui qui finissait par sortir.

            Il n'y est jamais resté dans ce fichu ventre rond. Il n'a jamais pris le temps de se sentir englouti par cet espèce d'estomac, cette paroi, cette membrane qui me mâche et me mâche jour après jour. J'ai l'impression que lorsque je sortirai d'ici, je ne serai qu'une boulette de chair ramollie, puante, informe, qu'il suffira d'évacuer en tirant d'un coup sec sur  une corde bien tendue.

 

Jour 3

            Je comprends mieux pourquoi je préfère les lignes droites et les angles.

            Je précise à ceux qui me liront peut-être que j'ai amplement mérité toute cette rondeur. Je sais bien que la plupart des gens n'en ont rien à faire des états d'âme d'un assassin. Et ils ont entièrement raison. Moi-même, avant d'être ici et de commettre ce que j'ai commis…

            Mais j'aimerais quand même parler d'autre chose que de cet endroit. Laisser autre chose.

            Tout d'abord, je me souviens à peine de mon crime. Je l'ai raconté aux policiers, je me suis laissé arrêter, je n'ai rien nié, jamais, car je sais que c'est moi qui l'ai fait. Là-dessus, rien à dire.

            Tout a été très soudain et très confus. Je n'ai que des réminiscences. Ou des images plutôt, beaucoup d'images. Comme si j'avais revécu ma vie juste à l'instant de tuer. J'ai revu ma vie avant une autre mort que la mienne.

 

            Il faudrait que j'arrive à mettre en ordre.

            J'ai vu un petit garçon, moi, debout sur une scène, avec d'autres enfants. J'ai vu toute la foule des parents, amis venus admirer les costumes, le défilé. J'ai surtout revu ma honte dans ce tissu bleu que ma grand-mère avait transformé en habit de petit ange. A côté, il y avait Superman et un pompier, un samouraï et un policier aussi. Et il y avait moi, mes cheveux frisés la veille pour porter l'auréole au-dessus de mes yeux bleus. La honte et la colère auraient dû me clouer au pied de la scène ou au fond du siège de la voiture mais je ne sais pas, j'ai pas osé. Pour ma grand-mère ou ma mère, je ne sais pas, j'ai pas osé. J'étais bleu ciel pour les autres et rouge vif de rage en dedans, juste pour moi.

 

            J'ai vu Etienne, qui aime sa femme, si ouvertement et ça se voit. Enfin je le voyais,  avant.

            Etienne. Le bureau juste en-dessous du mien, le nom juste en-dessous du mien et le salaire aussi, juste en-dessous du mien. Je l'ai toujours battu au tennis, toujours. Il était bien meilleur que moi, un vrai joueur de raquettes et je savais à chaque fois sur quelle balle il retenait son bras. J'en avais tant besoin au bureau d'Etienne, j'avais tant envie d'être lui. Et chaque fois, il s'empêchait de me battre

 

            J'ai vu aussi Colette, qui garde tous ses secrets, tout le temps.

            A l'école, petite fille, je la coinçais dans un coin de la cour et je la piquais avec les épines de la rose que je faisais semblant de lui offrir. Je voulais qu'elle me les dise ses secrets. Ceux qu'elle racontait avec ses copines ou avec un autre petit garçon de la bande.

            Au collège, on allait au café, on allait partout ensemble. Je la faisais rire Colette et c'est vrai que j'étais drôle. Je pensais qu'en la faisant rire, elle me les dirait tous ses secrets.

            Plus tard, je l'ai épousée. Avec mon argent, on a une maison, des vacances, des amis, une piscine, des enfants, tout. Mais il n'y a rien à faire. Aujourd'hui encore je m'aperçois que je ne sais rien d'elle. Même au parloir, jamais, pas un de ses secrets.

 

            J'en ai sûrement vu d'autres. Aujourd'hui je peux les décrire comme ça, parce que je prends le temps qu'il me reste. Je prends le temps de mettre en ordre des images.

            Ce que j'ai vu en vrai, c'est le rouge. En un instant, je me suis trouvé à cet endroit de mon âme, de mon cœur, de mon être (comment nomme-t-on ce qui fait notre essence ?) où je n'ai cessé d'enfermer le rouge de toutes mes impuissantes rages. Je suppose que chacun d'entre nous enferme quelque part le rouge de toutes ses rages.

 

            Le juge m'a posé la question pendant le procès : "Qu'est-ce qui vous a pris ?"

            Il y avait au deuxième rang de gauche, à peu près au milieu, la femme de l'homme que j'ai tué. Lorsque le juge m'a posé la question, j'ai tourné la tête vers elle. Instinctivement, sans réfléchir, j'ai voulu lui adresser la réponse. Mais je n'avais pas de réponse. Tourné vers elle ou tourné vers le juge, j'essayais sincèrement de trouver l'explication. Je ne revoyais que ma fureur d'assassin. Bien malgré moi, il ne me revenait rien d'autre qu'elle. Entière, pas même amoindrie par le chagrin de cette femme ou par le remord d'avoir ôté une vie.

            Mon silence durait et le juge a répété : "Qu'est-ce qui vous a pris ?"

            Je la regardais, elle. Je n'ai tué qu'une fois et c'est l'homme qu'elle aimait, lui et pas un autre, qui a fait naître l'assassin acharné que j'avais jusque là totalement ignoré. Je ne pouvais pas dire devant elle à quel point cet homme avait pu me donner envie de le tuer.

            Pour cette femme dont le visage penché vers l'avant évitait mon regard, dont le corps refusait de s'affaisser sous le poids de mon silence, pour cette femme que je m'imaginais amoureuse en deuil du corps de son amant, pour elle, dans la masse compacte et mouvante de ma fureur la compassion et le regret ont tracé un très net sillon, sitôt creusé, sitôt englouti. Mais un sillon si net que j'aurais aimé qu'elle puisse en percevoir la trace.

 

Jour 4

            Je vais bientôt avoir fini je crois.

            Ce qui me soulage aussi, c'est de savoir que cette boule de fureur crue, vivante, que je sens là, à la place de mon ventre et de mon cœur, va en finir en même temps que moi.

            Du moins je l'espère.

            Se pourrait-il qu'elle ait, vue sa force et sa consistance, une existence propre ? Se pourrait-il qu'elle s'échappe des êtres dont elle avait pris possession et qu'elle erre, allant décrire au-dessus de nous de larges cercles dans l'infini ? Ayant choisi sa cible, se pourrait-il qu'elle ouvre soudain l'un de ses cercles et qu'elle s'enroule lentement puis de plus en plus vite, de plus en plus près ? Venue de si haut, lorsqu'elle s'abat tel l'œil du cyclone sur l'âme visée, elle l'aspire dans le trou béant et évasé que sa chute vertigineuse et tournoyante a tracé dans l'espace.

            Aurais-je dû répondre au juge que je passais par là et que la fureur m'a choisi, moi ?

            Se pourrait-il que ce soit pour cela que je préfère les lignes bien droites ?

 

            Ce jour-là, ce dimanche-là, j'étais parti seul à vélo dans les rues de la ville. Je les avais tous laissé à la maison, devant l'écran. Ils n'avaient pas voulu venir avec moi.

            Ca m'avait contrarié, beaucoup, et beaucoup plus que d'habitude.

            Je n'arrivais jamais à les convaincre de venir avec moi. Les enfants étaient comme Colette, ils ne me mettaient jamais dans leurs secrets. Avec eux aussi j'ai essayé d'ailleurs mais après tout peut-être est-ce ma faute. Je n'étais pas souvent là.

            J'avais donc pris seul mon vélo. Je voulais le disque rond du soleil au-dessus de moi pour me chauffer. Je voulais le roulis des pneus sur l'asphalte. Je voulais le balancement de mon corps au rythme du pédalier. J'y pense maintenant, oui, et c'est étrange, à ce moment-là je voulais les rondeurs du monde.

 

            Je roulais sur le large trottoir de l'avenue.

            Je roulais sous le vent tiède du printemps, sous quelques chants d'oiseaux, parmi les odeurs d'un dimanche sans moteur.

            Je roulais au milieu d'un temps à part, du vent dans ma chemise et du répit dans mon corps, du répit dans mon âme.

            Je sentais poindre un peu de bonheur.

 

            Je voyais arriver vers moi un homme, à vélo lui aussi. Nous étions totalement seuls et je nous ai imaginé complices de ce moment à nous, loin d'eux. Nous allions nous croiser. Je voulais lui sourire. J'étais presque bien.

 

            C'est sa voix surtout, le ton de sa voix, qui a dû attirer l'œil du cyclone.

            "Vous avez pas vu qu'il y a un sens, non ?" (La piste cyclable, à cet endroit, est prévue dans le sens de la montée. Et j'étais moi dans le sens de la descente).

            Sa voix à lui, impérieuse et cassante, marquait la satisfaction hautaine du redresseur de torts du dimanche. Et du lundi, et du mardi. La satisfaction hautaine des gardiens de tous les jours, de toutes les lignes, de tous les codes, de tous les cercles. Cet inconnu, ce veilleur héroïque, m'avait remis à ma place, rappelé à la règle, au respect des choses (non, mais) et m'avait dépassé sans même que je vois son visage. Il allait continuer sa route sans plus se soucier de moi.

 

            Tout ce rouge ! Tout ce rouge en moi ! Je l'ai rattrapé en courant. Et, c'est écrit dans le rapport de police, j'ai frappé sa tête contre les arbres, contre le bitume, contre les murs. Le rouge, il fallait qu'il sorte.  

            Juste après, j'ai compris que cette couleur si vive qui m'entourait partout n'avait pas jailli de moi.

 

Jour 5

            J'ai bien mérité d'être pendu.

            Je n'arrive pas à refermer l'écrin de ma rage.

            Je n'ai rien vécu de si terrible pourtant. Dans ma vie je veux dire. Pas de souffrance extrême, pas de drame, pas de "conditions sociales et familiales défavorables".

            Je vais arrêter d'écrire.

            Je voudrais des bras pour m'entourer, des yeux pour me consoler et pour m'accompagner. J'ai beau faire le fier, ne rien ressentir de l'envie de vivre, j'ai peur quand même.

 

            Je pense à cette femme, au milieu du deuxième rang à gauche, et je ne comprends pas le lien entre elle et cet inconnu dont je n'ai jamais vu le visage. Je n'ai que le son de sa voix sentencieuse, avec juste ce qu'il faut d'intérêt puis d'indifférence.

            Je l'entends encore parfois et il n'y a rien à faire, c'est toujours ce rouge qu'elle appelle.

            Je l'entends et toujours je prends sa tête et je la cogne contre les arbres, contre le bitume et contre les murs.

 

 

Kathy Godiveau

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

DEROULER « LE CHEMIN » pour ne plus tourner en Rond …

 Crapaud-Atelier-Ecriture-Cercle-copie-1.jpg

Depuis le temps que j’en parlais, que j’en rêvais, que je jouais avec l’idée, que je l’imaginais.

 Je me racontais l’histoire à l’avance et m’y projetais, sans trop y croire encore …

Trouverais-je le temps, l’énergie, la volonté, le courage, de mettre « le chemin » à l’épreuve de mes pas et de mon désir ?

Ce désir était-il si profond, si urgent, si important ?

Partir à pied deux longs mois, seule sur les routes, ce n’était pas rien !

A un moment bien précis j’avais ressenti l’urgence et le besoin viscéral du départ, et puis, la vie, les circonstances, les contraintes familiales étaient passées par là en le reléguant à l’arrière-cour de mes préoccupations.

Je taquinais l’idée de temps à autre comme on aspire une grosse bolée d’oxygène pour se requinquer. Mais pour partir vraiment, je le sentais bien, il fallait qu’il y ait urgence, qu’un ressort intérieur profond se détende et, faisant fi de toute contingence, s’impose sans discussion.

Travailler, élever des enfants, faire face aux douloureuses épreuves : la mort, la maladie, rester debout, tenir bon, tout faire bien, tout réussir, être partout à la fois en étant aussi « parfaite » que possible en tout …
Comme si c’était possible ! Quelle idée vraiment !

Du coup ce n’était plus de moi dont il était question mais d’une autre, d’un rôle, d’un personnage, de mon double parfait, anesthésié, emprisonné et pris à son propre piège.
« Je » était devenu « Elle »…

Dieu seul sait comme elle a bataillé et payé le prix de cette croyance sur laquelle elle s’était construite pour être mieux aimée et gratifiée en retour. D’année en année, elle comprit pourtant peu à peu la vanité, la vacuité, le piège de cette idée de devoir rester forte jusqu’au mépris d’elle-même ; en se perdant de vue au passage ; en ne sachant pas qui « elle » était vraiment, ce qui était « bon » pour elle ou pas.

Il était temps de redevenir soi-même, de ne plus chercher à se protéger en se regardant à distance comme une autre personne, de redevenir le sujet  de sa propre vie.  De dire « Je » …

Stopper la course éperdue, la fuite en avant.
M’arrêter, ralentir, vivre au rythme de mes pas, posément, tranquillement.
Avide de solitude, de silence, d’un temps donné, étiré qui ne soit pas compté.
Faire taire le tumulte intérieur et extérieur.
M’écouter pour mieux m’entendre, me comprendre, me trouver.
Partir.
Marcher pour faire le point, le tri.
Entamer pour de bon « LE » chemin, foulé par des millions de pas depuis des siècles.
Ce chemin qui appelle et qui reste un mystère.

On part seul mais on ne l’est jamais vraiment.
Tellement de monde sur ces sentiers ; c’est parfois pire qu’une autoroute !

Il n’y a pas de règle.
Que des surprises, de l’imprévu, de l’inattendu.

Larmes de joie et moments de grâce.
Désenchantements ou insupportables impatiences.
Himalaya infranchissable ou promenade de santé d’une étrange facilité.

Autant de compagnons de marche que de casse-croûte, de ronflements dans les dortoirs, de pieds meurtris à soigner à l’étape, de ventres affamés au dîner du gîte, de sourires, de regards, de paroles échangées jour après jour.
Impossible d’échapper au genre humain, aux autres comme à soi-même !

« Et toi, tu viens d’où ? ». Le tutoiement, les prénoms ou les surnoms, l’origine géographique : on va à l’essentiel.
Irène, de la Somme, Violette, parisienne pur jus, Lola – Ile de Beauté, la bien nommée, Gala, l’africaine Française, Scaramouche, le québecquois fier à bras.

Ce sont mes compagnons de route. Nous ne nous sommes pas choisis. La vie nous a rassemblés, au hasard  (…?).

A certains moments on n’en peut plus !
Douleurs des corps (Aïe mes pieds, mes jambes, mon dos ! Trop lourd le sac, trop raides les chaussures !), ou souffrances des âmes (« Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Quelle mouche m’a piquée ? Si j’avais su … ! Qu’est-ce que je fais avec ces ploucs qui ronflent plus fort qu’une locomotive à vapeur et qui puent des pieds ? »).

Mais on le sait, on n’est pas venu pour rien. On ne s’est pas trouvés non plus pour rien !
On discute, on s’agace, on s’embrasse, on s’insupporte, on s’écoute, on s’observe, on se fait des confidences, on avance avec ses pieds et parfois aussi dans sa tête. Quelquefois pas du tout mais  quelle richesse cette pâte humaine !
Chacun vient chercher son Graal, combler un manque, s’alléger d’un poids, trouver des réponses à ses questions, du sens à sa vie, bref a quelque chose à découvrir pour lui-même. C’est bien là le sens profond de cet « appel » plus ou moins conscient « du chemin » comme on dit aujourd’hui d’un air entendu de connaisseur. Vocabulaire d’initiés, avant, pendant, ou après « l’avoir fait ».

  • Scaramouche joue les gros bras. Tu parles ! Lui aussi est englué dans ce piège à ours dégoulinant de bonnes intentions gluantes et sucrées. Ses gros bras c’est du flan ! Il n’y a qu’à le regarder trente secondes pour se rendre compte que ce grand gaillard tout en muscles et en feinte assurance est toujours un petit garçon en mal d’affection et de reconnaissance.

  • Et Gala qui garde tout et ne parvient pas à se séparer des choses.

  • Violette qui demande constamment « pourquoi » ? C’est un questionnement ambulant à elle toute seule. Plus fatigante qu’une enfant de cinq ans avec ses questions, ses hypothèses et ses demandes de partage avec chacun.

  • Et Lola qui danse tout le temps. Elle ne marche pas dans ses grosses chaussures, on dirait qu’elle danse. Une libellule, un papillon, un rêve de grâce, d’harmonie et de beauté. Elle ne questionne pas, elle, elle vit. Elle est là, présente à l’instant, à la lueur du moment qui passe. Elle ne vit pas, elle « célèbre » chaque instant de vie. Elle ne marche pas, elle n’est que joie et gratitude.

  • Même Irène que la nuit surprend souvent sur la route est émouvante avec sa rugosité et l’armure de ses protections.

Le chemin en aurait des choses à raconter ! Il les raconte d’ailleurs. Toutes ces histoires, ces drames, ces joies, ces prières, ces cheminements intérieurs, transpirent du goudron neuf, s’exhalent avec le vent frais du matin, murmurent avec les ruisseaux, jouent à cache-cache dans les frondaisons …

Et moi qui suis enfin partie, je « chemine » et partage la route du jour au gré des circonstances et des menus événements qui rythment la vie du marcheur pèlerin.

Je transpire, j’ai froid, j’ai mal aux pieds, faim ou soif, le soleil me brûle, le vent assèche mon visage, la montagne ravit mon esprit autant qu’elle fatigue mes jambes, les chapelles romanes m’enchantent, les villages « classés », les abbayes, la divine lumière qui joue dans les vitraux multicolores et projette autant de tâches colorées sur les piliers blonds transportent mon âme.
Mon esprit s’élève, mon souffle et mon corps se renforcent, mon cœur s’apaise.

« Le chemin » se mérite et s’apprivoise.
C’est un apprentissage,
                Une métaphore,
                      Une initiation,
                              Une quête.

Des rencontres,
Avec les autres,
avec Soi,
L’Univers,
Dieu,
Le « Grand Tout »,
L’indicible.

Cet « au-delà », au-delà de soi, « Eau » de la Source,
                  de la Joie,
                          du Malheur,
                                des Souffrances,
                                       du Temps,
                                              de la Vie,

Cette Vie qui est aussi la mienne,
« ma petite vie à moi » qui pèse aussi son poids et mérite que je m’y attarde pour la vivre en conscience et en connaissance de cause.

Pas à pas je trace ma route, mon chemin propre.
 Je respire plus amplement. Je deviens de plus en plus réceptive, attentive à  de multiples petits riens, aux « signes » qui ne parlent qu’à moi, à mon moi profond autant qu’à celui de mes compagnons de marche.
Un temps pour chaque chose et pour chacun.

Je sens que je vibre, que je rayonne, que j’exprime désormais une « couleur » plus nette, une aura différente, apaisée, positive et chaleureuse, une « note » spécifique de la gamme harmonique, tout ce qui fait que je suis moi, à la fois semblable, différente et unique dans mon humanité partagée.

J’ai ma place. Ma vie a du sens.

Le chemin m’a comblée.
Le cercle s’est ouvert.
Je ne tourne plus en rond.
J’avance – d’un pas décidé …
                          

Isabelle                          

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

circo paniko foto j.martin baigorria

 

En piste...

 

Chez elle, c’est patins glissant sur le parquet, meubles époussetés tous les samedis matins et gigot tous les dimanches midi.  Chez elle on parle peu, on est sérieux. Mais chez elle,  ce n’est pas chez elle, ou plus exactement, ce n’est plus chez elle. Elle vient de le décider.

A douze ans, Blanca s’éloigne doucement du cercle familial, s’en écarte secrètement, en pensée. C’est le plus qu’elle puisse faire. Elle voudrait crever la bulle, percer l’abcès, libérer l’air, se rebeller, mais elle le sait, si elle le fait, c’en sera fini de ces quelques sorties autorisées parcimonieusement. Sorties qui lui permettent tout juste de, quitter les patins,  traverser le jardin, aller jusqu’au bout de l’avenue et  pousser jusqu’à la place Henri IV. Surtout pas plus loin, lui répète-t-on !

C’est égal à Blanca de ne pouvoir aller plus loin. Pour Blanca, tout son monde est là, sur la place Henri IV. Le cheval blanc galope de long en large et toujours revient sur son socle au beau milieu de l’esplanade. Elle n’a pas besoin d’aller plus loin Blanca, elle se serait noyée dans l’immensité de la ville.

Blanca épie tout, chaque mouvement, que ce soit celui des personnes ou des feuilles. Elle regarde et chambarde l’ordre des choses. Blanca prolonge les vies qu’elle rencontre, les oriente. Cette femme-là, vue avec sa poussette traversant la place,  ne devrait faire que passer, ne fait que passer ! Mais Blanca la capture, la fait sienne et lui invente une destination précise. On dit de Blanca, qu’elle a une imagination fertile !

Ce jour-là, Blanca avance vers la place Henri IV. Elle ne s’imaginait pas qu’elle fut envahie de gros camions rutilants jaune vif. Surprise, la voilà qui découvre un monde haut en couleur, en strass et en paillette mais aussi en sueur et en paille. Cirque Paniko, lit-elle sur les affiches. Subjuguée par la force du chapiteau, toile tendue au maximum et accrochée à l’infini du ciel, elle tourne autour du tambour pointu. Elle tourne et s’étourdit, mais une petite voix intérieure lui rappelle le retour aux patins, dans le quart-d’heure qui suit.

Nous sommes Samedi, elle  retrouve le porc aux lentilles. A table on s’est mis à parler. Le père et la mère ont cessé de se taire pour émettre quelques soupirs profonds accompagnés de quelques marmonnements. Blanca sent l’air se durcir,  se tendre au maximum. Elle repense au chapiteau. Mais ici pas d’infini du ciel. Ici, chez eux, c’est plafond de plus en plus bas. Comme si l’air n’en pouvait plus d’être saturé, il impose au père et la mère de lâcher tous les mots. Soupirs d’inquiétude redoublés : les voilà revenus ! Ils échafaudent les scénarios, devront barricader le petit cabanon, fermer les persiennes de la pièce d’en haut, ne rien laisser traîner dans le jardin, préparer un sac de vêtements à leur donner au cas où ils viendraient sonner à la porte et quémander comme ils savent faire.  Des précautions, cent précautions, mille précautions, ont jailli à l’encontre de Blanca. Cette fois, elle ne doit pas aller  plus loin que le bout de l’avenue, tant qu’ils seront encore là. Tu nous entends Blanca, tu n’oublies pas, ces gens-là, ne sont pas comme nous !

Blanca débarrasse la table. J’peux y aller ?  Oui mais tu ne vas pas plus loin que chez les Allard et si il y a quoique ce soit qui te parait anormal, surtout tu reviens aussitôt à la maison, ou tu t’arrêtes chez les Allard, si c’est urgent. Rappelle-toi Blanca, ces gens-là ne sont vraiment pas comme nous ! Blanca lâche les patins, clenche la porte, marche vite mais pas trop, feint l’indifférence, se fait presque invisible devant chez les Allard, puis court jusqu’au bout de l’avenue. Court et se ressaisit. Quand même, elle a un peu peur. Pas comme nous, c’est comment ? Sur la place, elle s’avance au milieu des camions, des remorques détachées de leurs cabines, des cages, des abris. Elle n’est pas seule, d’autres aussi visitent la ménagerie.  Blanca, elle, ne visite rien du tout, elle déambule, s’aventure jusqu’à la tente-préau, étable sommaire pour le chameau, le lama et le cheval. Ici plus de visiteurs. On a attaché le jeune chiot ici, loin des passants. Blanca s’avance doucement, sur la pointe des pieds. Elle n’a pas franchi de barrières, mais elle sait qu’à cet endroit précis, elle est chez eux. Elle approche le lieu privé de ces nomades, pas comme nous se répétait-elle. Elle a un peu plus peur, sursaute au bruit de la porte du camion-habitation qui s’ouvre et claque. Il a son âge, rit et s’élance vers le  petit cheval qu’il attrape à l’encolure, l’enlace, pose sa tête contre son flanc et lui chante une chanson dont Blanca ne comprend pas les paroles. La voix aigüe du garçon la transporte, elle est sur la route, brinqueballée au fond d’une roulotte, lovée dans les couvertures colorées, bercée par la mère et la grand-mère. Elle est au pied du cheval, sent la chaleur des naseaux de l’animal, mêle ses cheveux à la crinière. Elle est partout, dans la ronde des odeurs, des mouvements, des bruits ; elle est nomade elle aussi, dans une époque qui n’existe plus. Soudain, des appels stridents autour d’elle, la ramènent au temps présent. Une femme portant une gamelle fumante et odorante va d’une caravane à l’autre, et appelle. Elle passe tout près de Blanca, mais ne semble pas la voir. Le jeune garçon ne répond pas tout de suite. Il a vu Blanca, lui sourit puis reprend son chant de plus belle, caressant l’animal tout en fixant ses yeux dans ceux de la jeune visiteuse hardie. Il quitte le cheval après une forte embrassade,  détache le jeune chien, et l’entraîne en courant, à sa suite, toujours en chantant. Le chiot et son maître ont disparus de la vue de Blanca mais la voix tournoie, ici et là, envoûtante. Le jeune garçon ressurgit et s’engouffre dans une caravane, précédé par la femme à la gamelle fumante. Blanca se souvient de ce qui est dit des manouches, qu’ils mangent des hérissons, des niglos. Elle voudrait goûter, mais la porte s’est refermée derrière le garçon. Blanca retrouve le silence. La caravane billetterie est fermée, sa guirlande éteinte, pourtant dans la tête de Blanca, c’est la fête. Une fête empreinte de nostalgie. Elle sait qu’elle ne verra pas le rond de la piste du cirque, qu’elle ne prendra pas place sur les gradins du chapiteau, mais elle sait aussi que cette voix et ce regard étaient un sacré spectacle. Elle l’entend encore, cette mélodie si puissante, un peu triste mais tellement vivante. Elle peut retourner chez elle, ou chez eux, peu importe maintenant car elle a désormais un chez elle, bien à elle, un chez elle qui ne la quittera plus, un chez elle intérieur, profond, ancré.


Clodine Bonnet

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 00:00

actualite 161 1253431987494-copie-1 danseuse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous la coupole

 

 

C

ette nuit, j’ai mal dormi.

J’ai pensé et repensé à ce qui m’attend, avec au fond de moi un véritable enchantement mêlé d’inquiétude aussi.

Tout à l’heure démarre pour moi, une grande aventure. J’espère depuis si longtemps ce moment…!

Mon cœur bat la chamade ! J’ai chaud, j’ai froid…envie de rire et puis plus du tout…curieux tourbillon dans ma tête !

Alors je saute de mon lit : une douche, un café, quelques vêtements chauds dans mon sac, surtout ne pas oublier mon sac et son précieux contenu…!

Ma veste à peine enfilée, je dévale les escaliers et me voilà dans la rue encore obscure, toute embrumée de sommeil.

Pas un bruit ! Juste une faible rumeur.

Je reste là un instant, savourant à pleins poumons la fraîcheur humide et parfumée.

Le silence me surprend. 

Je pensais qu’à six heures du matin, l’agitation serait plus marquée.

 

J

e commence à marcher, un peu comme dans un rêve, légère, à la fois heureuse et craintive, regardant le ciel bleu nuit qui peu à peu s’éclaire. Les oiseaux chantent, mon coeur s’enchante. J’avance, j’avance…

Toutes sortes de pensées tournent dans ma tête, comme les nuages au-dessus de moi, et je me revois comme au premier jour de mon entrée en sixième, il y a pourtant bien longtemps déjà…souffle court, estomac serré mais aussi joie de la découverte, espoir, fierté, défi à tenir…

Les années ont passé et ce matin je retrouve mes 11ans…mêmes peurs, mêmes doutes, mêmes espoirs…troublant...

Tellement de questions me hantent…

Bonheur de cette année qui commence mais appréhension aussi, curieux mélange paradoxal, mais la vie n’est-elle pas pleine de paradoxes ? Sans doute…!

 

T

out à coup, le bruit grandissant de la ville me fait revenir à moi.

Perdue dans mes pensées, j’ai dû marcher comme un automate, parcourant le trajet à toute allure, sans même le voir, passant d’une rue à l’autre, traversant les passages piétons, contournant les ronds points, longeant les avenues, les squares.

Tout à coup, à cet instant, devant moi,  l’énorme masse  de l’édifice me rappelle à lui.  

Et oui, je suis bel et bien arrivée devant cette architecture magnifique qui abritera cette année «  Mon Année du Changement » !

Les hautes et majestueuses colonnes de pierre blanche, le dôme somptueux d’une rondeur bleutée, enveloppante comme j’aime, la façade immense et ses sculptures dorées, l’escalier de marbre, gigantesque…tout m’apparaît féerique, merveilleux, impressionnant !

A mon sentiment de solennité, de respect devant ce palais, se mêle une joie intense jamais éprouvée jusqu’alors.

 

C

’est bien moi qui suis là…moi, ici, pour accomplir cette œuvre sublime du Ballet de Coppélia à l’Opéra Garnier…l’Opéra de Paris !

Quand je réalise le chemin qu’il m’a fallu parcourir pour être dans ce lieu aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de laisser couler mes larmes …un long frisson  envahit tout mon corps. Je ne suis plus tout à fait moi-même, mais comme élevée vers le ciel, éthérée.

 

S

oudain, je sursaute aux voix alentour, et je vois se diriger vers moi, un groupe qui me salue chaleureusement. Les visages sont rayonnants, une belle énergie émane de chacun. Cela fait plaisir à voir.

Je ne connais personne, mais nous sommes là, tous au rendez-vous, fascinés par le même défi à relever, monter ensemble ce chef-d’œuvre que nous attendons avec impatience !

Lentement, presque religieusement, je monte les marches de ma nouvelle vie, fière et humble à la fois, entourée de la troupe des danseurs. Je les trouve magnifiques de simplicité et d’élégance.

Le Grand Foyer qui s’offre à nous, presque aussi somptueux que la Galerie des Glaces à Versailles, sent bon l’encaustique, comme les parquets cirés quand j’étais petite.

Ici tout  brille, tout étincelle, depuis les boiseries en marqueterie, jusqu’aux lustres suspendus au-dessus de nos têtes, en passant par les immenses miroirs où l’on peut se voir en enfilade à l’infini.

Etrange sentiment…

 

M

e reviennent alors en mémoire les vacances que je passais chez ma grand-mère, l’odeur des armoires, du bois lustré, des goûters enchanteurs…où suis-je ?  Sensation de vertige…je me perds…mon enfance est si loin…

C’est bien justement à cette période là que je me suis mise à aimer la danse. La finesse, la légèreté des déplacements me faisaient rêver.

Ma tante qui connaissait bien ma passion, me gardait toutes les pages des magazines où elle trouvait des danseurs et danseuses, et j’en tapissais ma chambre.

Devant la glace de  l’armoire je me revois faisant les pointes avec mes espadrilles en corde. L’épaisseur de la semelle me permettait de bien me tenir sur les pointes, et je tenais longtemps !

J’imitais toutes les postures, arabesques et autres figures que m’inspiraient ces photos. Je me suis même un jour déboîté le genou mais personne n’en a rien su.

Ma mère me disait : « Arrête donc, tu vas finir par casser quelque chose et te faire mal ! »  Mais rien n’y faisait, je persistais !  Je m’y voyais déjà !

 

E

t aujourd’hui, maintenant…précisément  maintenant, j’y suis ! 

C’est à peine si j’ose y croire mais c’est bien moi qui suis dans ce temple de la danse, ce matin, avec tous mes partenaires de scène !

 

A

près avoir passé de longues années d’étude, à m’entraîner sans relâche, j’ai gravi une à une les marches de ce métier qui m’enchante depuis toujours.

Aujourd’hui enfin, les portes s’ouvrent.

Dans l’immensité de la salle, au milieu des bavardages, soudain un grand silence se fait…fascination.

Chacun retient son souffle, les regards, les corps se figent…plus un bruit…plus un geste…

Venant d’un vaste couloir, un bruit de pas lents et mesurés résonne, s’approche, scande sur le parquet qui grince un peu, le rythme des secondes qui nous séparent de lui.

Dans l’encadrement de la haute porte sculptée s’arrête en personne, notre maître de ballet Igor Barychtanov…homme élégant, un peu âgé, visage à peine ridé, souriant…instant magique, suspendu…

 

Q

uand il entre dans la salle, la lumière jaillit, un charme indicible émane de tout son être.

Le regard plein de douceur, de bienveillance, il se dirige vers nous, simplement, prend place sur une chaise et commence à parler d’une voix grave et délicate.

Il considère chacun d’entre nous, lentement, comme s’il lisait à travers nos pensées, avec la plus grande humanité.

A cet instant je sais que l’année sera belle.

 

A

u bout de quelques longues minutes, le groupe s’anime à nouveau, serein, joyeux, et dans un vaste mouvement circulaire, comme une grande révérence, nous encerclons chaleureusement cet homme, et un tonnerre d’applaudissements emplit les lieux.

Il nous souhaite la bienvenue dans ce haut lieu de la musique et de la danse et nous invite à nous diriger vers la Grande Salle de spectacle, impressionnante,  puis vers la scène, grandiose.

 

« Mes amis, dit-il, c’est là que vous ferez vos premiers pas.

C’est sur vos épaules que repose le ballet de Coppélia,  œuvre majeure et je sais que nous ferons ensemble un excellent travail, que nous tenterons d’atteindre la perfection. Ce sera dur, fatigant, parfois peut-être même décourageant.

Mais n’oubliez pas que suis là pour vous, et  que chacun est là pour tous. »

 

Oui l’année sera belle !

 

Claudine Thiollet


Partager cet article
Repost0