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15 octobre 2014 3 15 /10 /octobre /2014 00:00

 

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Tip !

Un petit caillou tombe sur la terrasse !

Tiens ma mésange préférée vient me dire bonjour !

Il est temps de me lever. Je m’étire, sors de mon grand lit bien chaud et hop, sous la douche bien froide, me voici revivifiée, prête pour la journée !

Tip ! tap !

Deux petits cailloux sautent sur la terrasse !

Deux mésanges sifflotent et m’invitent au jardin.

C’est vrai qu’il est beau le jardin avec sa multitude de fleurs ensoleillées !

Le potager aussi s’est éveillé, et il me faut ramasser les légumes bien frais si je veux préparer à manger.

Tip ! tap ! top !

Trois petits cailloux dansent sur la terrasse !

Un oiseau de plus arrive, un jeune merle et tous les trois chantent à tue-tête sur le grand saule.

C’est le signal que la voiture du boulanger va bientôt arriver.

Mais oui ! Calmez-vous ! Je vais demander du pain dur pour vous ! bien-sûr !

Tip ! tap ! top ! pouf !

Quatre cailloux bondissent sur la terrasse !

L’hirondelle est descendue. Elle a rejoint ses amis.

Décidément vous ne me ratez pas ! C’est sympa mais avec vous pas de répit !

Je sais c’est l’heure du facteur ! M’apporte-t-il de bonnes nouvelles ? Vous êtes des oiseaux de bon augure !

 

Tip ! tap ! top ! pouf ! paf !

Cinq cailloux roulent sur la terrasse !

Ah ! le pigeon grassouillet de la maison d’à côté s’est joint à la chorale !

Vous voulez quoi ? Vous voyez bien ! Je lis mon courrier ! Laissez-moi respirer !

Vous savez, c’est bon parfois de s’arrêter !

Tip ! tap ! top ! pouf ! paf ! ploc !

Six cailloux claquent sur la terrasse !

Le sextet de volatiles de choc s’est réuni…je sens que l’heure est grave !

J’ai compris ! Ils sont tous là, solidaires, et leur chant caco-polyphonique m’invite et me dirige vers le haut de la grange.

Un évènement vient de se produire…cric…crac…croc…dans la paille, un petit œuf tout chaud, tout blond se fendille doucement.

De leurs grands yeux ronds, mes petits complices à plumes, la larme à l’œil, le bec émerveillé, me montrent le miracle du premier poussin ébouriffé que la chouette, leur grande amie du grenier, vient de finir de couver… ! chut…c’est un secret…

Clo


 


Une journée rythmée par le sablier

 

1-     C’est le temps de s’éveiller, de s’étirer, de traîner un peu, puis de se décider à se lever.

2-     Puis vient le temps d’ouvrir les volets, de regarder l’état du ciel, d’écouter le chant du vent et de décider comment s’habiller.

3-     C’est alors le temps du thé et des tartines, de la confiture qui coule, de la rose sur la table qui perd un pétale.

4-     Il est temps ensuite d’entrer dans ce monde aquatique :  sentir l’eau couler sur la peau, faire mousser le savon puis se draper dignement dans la grande serviette.

5-     Tout en s’habillant, il est temps de penser organisation, planning, etc. Par quoi commencer ? Où courir ? Quand s’arrêter un peu ?

6-     Et là, c’est parti ! Temps de sortir, d’agir, de travailler : enregistrer des informations, effectuer des tâches, répondre à des demandes ...

7-     Mais au milieu de ce fatras d’activités, de temps en temps, prendre le temps de regarder un coin de ciel et de respirer un peu plus amplement, fermer les yeux un court instant, prêter attention au chant d’oiseaux, regarder bruire les feuilles de l’arbre là en face ...

8-     Et pourquoi ne pas prendre le temps de s’évader du lieu ? Sauter sur ce nuage qui passe, atterrir sur cette moto rouge qui déboule, ou bien déplier ses ailes pour partir survoler ce parc...

9-     Bon, tout ceci ne doit pas durer : il est temps de retrouver son sérieux, posé, productif, efficace ...

10-   Ouf ! il est temps de rentrer : conduire sans hâte, écouter un vieux tube à la radio, admirer en roulant la nature qui se transforme, les vignes vierges éclatantes, les feuilles qui tombent en tapis doré ...

11-   Là vient le temps de poser avec délices ses pieds dans les chaussons douillets, chauffer la soupe, attendre l’aimé, cocooner ...

12-   Il est temps enfin de fermer les volets, reprendre le livre abandonné la veille, le refermer et s’abandonner aux bras de Morphée pour un voyage au pays des rêves.

Ackane

Ma vie fractionnée (carte Dixit)

 

            Fractionnée, dispersée ... Ma vie dans tous les sens ...

Un besoin impérieux d’unifier tout cela cherche parfois à s’imposer : ça ne peut pas continuer ainsi cet agenda noirci !!!

            Mais alors, comment choisir ce qui serait laissé, abandonné sur le bas-côté ? Ce qui serait étiqueté : « N’est plus digne d’intérêt » ? Renoncer à ceci, à cela ... Mais pourquoi, au fond ?

            Pour plus de calme ? Pour un chemin plus droit ? Pour plus de certitudes ?

 

            Ma vie, c’est une vie de bulles de savon irisées et variées. Il y a des grosses et des petites bulles, certaines qui éclatent et d’autres qui durent longtemps, mais toujours le désir de souffler encore pour en créer de nouvelles.

            C’est une vie, une seule et unique, pour tant de choses passionnantes à découvrir, tant de rencontres à faire qui vont permettre d’évoluer et de se transformer.

            Chaque jour a ses multiples facettes : c’est un peu fatiguant, mais c’est ça, pour moi, vivre aujourd’hui !

Ackane

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18 juin 2014 3 18 /06 /juin /2014 00:00

 

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MER NOIRE

 

Un crachin froid s’était mis à tomber lourdement avec l’arrivée de cette soirée d’octobre.

Romain, vautré sur son canapé, en était à son troisième whisky, regardant les vitres s’embuer lentement de gouttelettes sombres.

La pluie était noire comme ses pensées du moment.

Les manches de son vieux pull marin étaient déchirées ici et là, maculées de traces de mazout tout juste séchées. Ça empestait un mélange de gasoil, de goudron, d’hydrocarbure puissant.

Il avait jeté son jean avec son ciré rouge en même temps que la combinaison distribuée à son arrivée sur les lieux.

Il avait laissé ses pataugas sur le paillasson de l’entrée, à la porte : « bonnes à mettre à la poubelle ».

« Non ! »  grogna-t-il à mi-voix sans y prendre garde ; Il ne retournerait pas à ce foutu chantier demain matin : trop révoltant, trop déprimant, trop écoeurant de souillures, de saletés, d’oiseaux blessés ou englués, de coquillages tachés, d’algues agglomérées, de ce magma immonde qui avait envahi la côte depuis ce sinistre naufrage du tanker « Olaff »

Lorsque la nouvelle avait couru sur la presqu’île, il s’était précipité pour vérifier de ses propres yeux, refusant d’admettre l’annonce diffusée par les voitures de police équipées pour la circonstance de mégaphones et  gyrophares.

Romain habitait une petite maison aux volets jaunes près du blockhaus. Il avait été sur place dans les trois minutes.

Ce qu’il avait découvert alors, l’avait sidéré,  cloué sur place.

Une marée noire !

Il assistait à un début de marée noire…

La mer, sa mer, encore scintillante l’heure d’avant, était devenue cette masse sombre, lourde, gluante, visqueuse. Et les vaguelettes n’avaient pas tardé à déverser sur le sable blond leurs vomissures noires dans un clapotis sourd, lent et poisseux.

Une marée noire ! Il en avait toujours suivi les récits dans le passé à la radio ou au cours des journaux télévisés. Il s’était senti lâchement soulagé en quelque sorte. Malgré sa révolte, ce n’était ici, chez lui.

Mais là, ce jeudi dix octobre le bateau - erreur de navigation ou problèmes hélas récurrents d’épaves flottantes, le saurait-on jamais -  avait éperonné les rochers affleurant dans cette partie du rail de navigation.

Il s’était ressaisi rapidement. L’heure n’était plus aux questions. Il fallait parer au plus urgent.

La population locale, dans un bel élan, s’était retrouvée sur les plages souillées, armée qui, de pelles, de sceaux, de sacs poubelles, de brouettes, de tout ce qui pouvait permettre d’enlever au plus vite cette gangue mortelle.

Ils avaient travaillé durement et sans relâche, pataugeant dans cette viscosité nauséabonde et sournoise.

Après des heures, dos cassé, moral en berne, pleurs contenus ou déversés silencieusement, Romain s’était redressé pour contempler le paysage. Il avait alors mesuré qu’il y en avait pour des jours et des jours de ce nettoyage insensé. On n’était même pas assuré que le bateau ne fuyait plus à l’heure actuelle.

Du coup, de rage, de désespoir, de chagrin, de fatigue, il était parti, comme un traître, tête basse rentrée dans les épaules, sans rien dire à personne.

Et pour finir cette journée lugubre, ce crachin qui s’était mis à tomber doucement, rajoutant à la tristesse.

Ecoeuré, saoul de lassitude et d’odeurs pestilentielles, trempé de sueur par la rage qu’il avait mis  à enlever, ôter, charger cet agglomérat, il était rentré chez lui.

 

Il était resté figé près d’une heure, seul sur son bout de canapé, devant ce qu’il appelait « la stupidité indécrottable de l’espèce humaine ».

Il avait attrapé sa bouteille de vieux bourbon, et il s’était mis à boire, comme ça, comme pour tenter d’oublier.

Le premier verre de whisky, lui avait fouetté le sang et lui avait redonné un peu de vaillance, mais tout aussitôt, une immense lassitude lui était tombée sur les épaules. Il était incapable de repartir.

Alors, il avait pris un deuxième verre, puis un troisième. La chaleur de l’alcool l’avait doucement enveloppé, il s’était relâché, s’était mis à rêver éveillé, somnambule, presque euphorique.

La crique Sainte Marguerite !

Il en avait des souvenirs avec cette plage.

L’année de ses seize ans avec Noémie… un été complet avec elle et ses cheveux longs, blonds, si doux, tellement soyeux. Il n’aurait jamais cru que cela puisse lui faire autant d’effet,  de passer sa main dans les cheveux d’une fille.

Il était devenu fou amoureux en un après midi. Il en sourit encore dans le salon devenu sombre.

Noémie !  Pourquoi ne s’étaient-ils pas retrouvés l’été suivant, il ne savait pas trop. Les amours d’une saison, d’un été, qui passent…

Il s’était vite consolé dans les bras de Magali, et puis Claire.

Ah ! Claire ! Sa flamme, sa lumière…

Claire, qui avait transformé sa vie, chamboulé son existence pour l’ancrer au final ici, sur la côte,  depuis près de huit ans.

Quand il l’avait vue à cette fête de la sardine, il avait eu la certitude, comme ça, que c’était elle.

Il lui avait fallu développer de belles  stratégies de séduction, de persuasion, avec persévérance, constance, pour l’arracher aux bras de Frédéric, un marin, forcément.

Claire ! Comment parler d’elle, de cette compagne, à peu de chose près de son âge de trentenaire, Claire, adorée, admirée, indépendante, courageuse et amoureuse.

Lorsqu’elle lui avait assuré qu’elle était marin pécheur, à cette fameuse kermesse du port du Croisic, ils avaient bien ri en cherchant les équivalents féminins de ce mot : Marin : Marine, ah, non surtout pas ça !  Pêcheur : pêcheuse ? Ca renvoyait trop de miasmes judéo-chrétien qu’ils détestaient autant l’un que l’autre. Alors ils en étaient restés au « marin pécheur » convenant que la langue française présentait  bien des lacunes en matière de parité.

Pensant à Claire, soudain, il réalise qu’elle ne sera pas de retour avant quatre, cinq jours. Elle n’assistera pas à ce désastre, elle est en haute mer, quelque part au large de l’Irlande, là où l’océan est encore bleu, quoique, au vu de ce qu’elle lui relatait à ses retours, la haute mer n’était pas absente de souillures, de déchets, débris en tous genres.

Il se souvient, la première fois qu’il était allé la chercher à l’arrivée de la « Marie Josèphe », le chalutier de son patron Dédé. Elle avait les cheveux ébouriffés, les yeux rougis par la  fatigue des  longues heures de pêche, à être penchée sur le chalut à tirer, hisser, trier…là, à l’œuvre avec ses compagnons, qu’il fasse beau ou qu’il tempête. Les poissons n’attendaient pas. Quand le « banc » était détecté par le sonar, Dédé lançait le filet, et le travail commençait, sans répit.

Non, il ne l’avait pas trouvé belle, mais il avait été tout « remué » de la voir à la fois forte et fragile avec son grand tablier jaune. Elle finissait de laver le pont à grands coups de jets balayeurs.

Pour elle, il avait changé de métier, arrêté la menuiserie où il avait déjà laissé deux phalanges dans les dents de scies trop gourmandes.

Un jour, il avait eu vent d’une saline à prendre près du Pouliguen, il y avait vu comme un clin d’œil, un signe, une nouvelle certitude.

Romain s’était empressé de se mettre sur la liste des acquéreurs, avait suivi une formation de paludier, et jonglait depuis sept ans entre son état de ferronnier et de paludier.

Contre toute attente, ce nouveau métier s’était révélé tout à fait positif pour lui.

Il avait bien compris qu’il ne ferait jamais fortune avec cet or blanc, mais ce n’était pas son objectif.

Non, ce qui lui importait c’était ce nouvel équilibre qu’il avait acquis lentement en se frottant aux éléments : la mer, le vent, le soleil, le sel. Et tous ces oiseaux présents chaque jour avec lui sur les étiers, les œillets, ou les talus qu’il pouvait observer à loisir…

Une belle sérénité lui dilatait le cœur et les poumons lorsqu’il arrivait sur la saline, et les pulsations de son cœur ralentissaient progressivement.

Il avait compris, que la nature était maîtresse, la nature commandait, il n’était qu’un simple valet, un outil.

Il se laissait guider par elle, acceptait les années « maigres » ou les années de plein soleil qui le « grillaient » durant la saison.

Il récoltait sa fleur de sel avec amour, délicatesse et un doigté acquis rapidement, avant de prendre le gros, comme on disait ici.

Il était devenu paysan de la mer. Cette appellation lui convenait.

Parfois, Claire venait le rejoindre avec le pique-nique sur le marais, tard le soir, lorsque le soleil et le vent avaient asséché les œillets et que la récolte pouvait commencer.

Sans paroles ou presque, ils s’installaient sur le haut du talus qui dominait le marais, dînaient face au soleil couchant qui teintait la saline d’un rose proche du fuchsia,  différent chaque jour.

Il avait le sentiment lors de ces moments suspendus,  que c’était ça le bonheur. Il se sentait alors  puissant et invincible.

Sans un mot il entourait les épaules de Claire et tous les deux respiraient amplement, goûtant,  ces instants comme pour s’en repaître, s’en gaver, s’en nourrir dans une communion parfaite. Ils étaient en accord.

 

Le son lugubre de la corne de brume vient de  faire sursauter Romain. Il s’est sans doute assoupi…..

Sa montre consultée d’un œil gonflé, lui indique sept heures vingt huit ; il ne s’est pas assoupi, il a tout simplement dormi sur son canapé.

Là-bas, quelque part sur la terrasse en surplomb de l’océan, les autorités locales scrutent la mer à la jumelle panoramique, pour suivre l’évolution des nappes de mazout.  Mais la lumière du jour est encore trop laiteuse pour une observation minutieuse.

La corne de brume mugit de nouveau.

La colère de Romain s’est évaporée avec la nuit, il le sent.

Lorsqu’il veut se lever, les douleurs de son corps quelque peu meurtri se réveillent violemment, et le plaquent à nouveau sur le canapé.

Courbatures, mauvais sommeil, alcool ingéré hier soir, l’ensemble se conjugue pour le clouer,  inerte sur les coussins.

Il rêve d’un café bien serré pour émerger un peu et se nettoyer les méninges.

Personne ne lui fera ce café, s’il ne se bouge pas !

Romain serre les dents, se déplie tant bien que mal,  mains posées sur les lombaires. Il grimace, et tel un vieux pépé, s’avance vers l’îlot central de la pièce où les robots le lorgnent avec leurs boutons, leurs voyants, leurs signaux rouges, verts, jaunes.

Faire un café, tout de suite, maintenant !

Très vite l’arome embaume la salle et lui dilate les narines. Il va déjà mieux.

Il se sert une grande tasse bien chaude, et ouvre la baie pour humer un peu le temps qu’il fait.

Il croit qu’il va faire beau aujourd’hui, le crachin a lessivé le ciel. La marée haute était à six heures, coefficient 52.

L’évocation de la marée haute lui ramène instantanément le mazout à l’esprit.

« Les rochers vont avoir essuyé pendant la nuit, la grève va être recouverte » se dit-il à cet instant.

On frappe à la porte. C’est Daniel.

« On t’a pas vu hier soir ? Réunion de crise à huit heures à la mairie ce matin. Faut organiser le travail, on ne peut pas continuer n’importe comment, chacun dans son coin »

« Ok, répond Romain bougon. Tu veux un café ?

« Oui ! On va en avoir besoin, et si tu veux mon avis, inutile de foncer tête baissée, parce qu’à chaque marée, ça va « dégueuler » le gasoil, un maximum, partout !

Romain, ne répond rien ; il se déroule juste la scène et imagine le tableau d’ici. Un seul mot lui vient à l’esprit : désolation !

Il reprend un café.

Puis, Daniel file. « Huit heures à la mairie. » redit-il en partant.

Il reste dix minutes à Romain pour finir de se réveiller tout-à-fait.

Et Claire qui n’est pas là. Dieu qu’il aimerait nicher sa tête dans son cou ce matin, Dieu qu’il aimerait se lover dans ses bras un peu, beaucoup…Pourquoi n’est-elle pas là, justement ce matin ?  

Il se traîne jusqu’à la douche, laisse couler l’eau chaude pour réchauffer ses muscles durs et endoloris.

Il enfile un vieux jean, un sweat, se disant que les « fringues » vont être bonnes à jeter tous les soirs, bah ! Ma foi, s’il n’y avait que ça, ce ne serait pas bien grave.

Et là, subitement, il pense à ses marais. Comment n’y a-t-il pas pensé hier soir ?

Est ce que la vasière est  touchée ? Est-ce que les étiers ont été fermés. Sont-ils souillés ?

Le voilà tout à fait réveillé et prêt à se battre de nouveau.

Il finit sa tasse d’une seule lampée et sort enfourcher son scooter.

Lorsqu’il quitte sa maison, un sentiment étrange l’arrête dans son élan, sur le seuil de sa porte.

Quelque chose a changé, il n’arrive pas à définir ce qui l’intrigue, ce qu’il y a de différent.

Peut-être le bruit du ressac cotonneux, assourdi, inhabituel des vagues ?

Il ne sait pas, n’arrive pas à identifier ce changement pourtant perceptible.

Il démarre. Le bruit du moteur lui transmet la révélation : les oiseaux.

Le silence des oiseaux.

Aucune mouette, goéland ou cormoran ne piaille ce matin. Le silence est assourdissant.

Décidément, il n’avait pas tout mesuré hier.

Il roule vers la mairie, croise des silhouettes connues. Rester concentré. Il craint le grand déballage à la réunion.

Messieurs les responsables préparez-vous, risque d’y avoir du grabuge.

La vue des gendarmes près de l’hôtel de ville, lui hérissent les poils. Il soliloque : « il ne faut pas se tromper de cibles, les brigands, les truands, les salauds, c’est pas nous »

Se taire.

Les voisins, amis et connaissances sont déjà là. Personne n’est entré dans la salle, la nécessité de se voir, de se retrouver, de faire corps ensemble, pour rassembler les forces, et souder cette solidarité spontanée.

Ils sont nombreux, la plupart présentent la tête des mauvais jours avec les traits tirés, les yeux bouffis, le teint terreux et cette tristesse qui enveloppe chacun.

Les femmes se sont regroupées, elles savent faire bloc dans les moments difficiles, la plupart ont quelque chose à voir avec la vie des marins.

Paulo veut se mettre à haranguer le rassemblement. Il est immédiatement remis à sa place vertement. Ce n’est pas le moment de se diviser. Il faut s’unir, se concerter, s’organiser.

Romain reconnaît Jean Luc, il est venu ! Signe qu’il y a péril pour qu’il se soit décidé à bouger celui là.

Marc tape sur l’épaule de Romain, les mots sortent quelque peu hachés : « Suis passé au marais, tard hier soir. On a tout fermé. Ça tient !»

Romain plante alors ses yeux noirs dans les pupilles couleur mer de Marc, il a envie de l’embrasser. Il lui serre très fort la main, sans rien dire, mais en pensant : il est allé au marais, lui, il ne s’est pas tiré !

Raymond s’approche d’eux, il est allé voir le doyen de la cité pour lui expliquer les raisons de ce grand remue-ménage, la présence des flics, la corne de brume… c’est un ancien marin.

L’ancêtre l’a remercié et ses larmes se sont mises à couler en silence.

Jacques le boulanger arrive avec des caisses de croissants tout chauds. Une ovation le salue. Il n’a pas dû dormir beaucoup celui là non plus.

Romain est comme réchauffé par cette solidarité naturelle, gratuite, serre les mains ici et là avec ce quelque chose de plus dans ce partage. Il découvre que sous les écorces et les vies différentes, ils sont tous,  les uns comme les autres, les uns autant que les autres, viscéralement attachés à leur bout de côte, leur bout de mer, qu’ils vont tout faire,  et ensembles pour sauver le patrimoine auquel ils sont tant attachés.

Le soleil déjà généreux brille et chauffe les corps comme pour donner cette énergie et apporter un peu de douceur dans cette apocalypse.

Romain s’ébroue et pose la main sur l’épaule de Daniel.

Un grand cormoran sorti de nulle part, zèbre le ciel bleu.

« T’as vu ? » dit-il à son ami.

Hochement silencieux de tête.

Romain veut y voir comme un signe d’espoir.

Tout n’est pas perdu

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23 avril 2014 3 23 /04 /avril /2014 00:00

 

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Promesse non tenue

 

« Vous traversez les joies et les souffrances de l’enfance, et déjà vous ressentez intimement, violemment que vous attendez quelque chose, mais vous ne savez pas quoi. Pendant l’adolescence, votre quête grandit de cet innommé :   dans vos errances et vos conduites à risque, vous espérez l’atteindre. Mais les années passent et la vie déroule son tapis de découvertes et de doutes, de joies et de regrets, d’obstacles surmontés et de désespérances. Un jour, peut-être, un grand amour vous fait frôler cet essentiel : vous croyez le tenir et vous sentez pousser vos ailes. Un jour, peut-être, l’usure du quotidien, des promesses non tenues, des trahisons, et la grande lassitude du toujours faire, vous en éloigne insidieusement : au début, vous ne vous en rendez pas vraiment compte, mais peu à peu, ce sentiment d’un vide vous ressaisit et grandit. Vous vous mettez à rêver de changements sans oser vraiment y croire, vous espérez un événement, une rencontre qui vous fera changer de cap. Au plus profond de vous-même, vous sentez qu’un chemin existe qui vous attend. Alors, vous donnez un bon coup de pied au fond du fond dans lequel vous avez eu l’attrait de vous laisser tomber. Comment avez-vous pu dédaigner tout ce qui vous est donné, pourquoi déserter le cadeau de la vie même ? Cette quête du Graal, cette soif immense exige-t-elle quelque chose hors du commun ? Partir : est-ce la solution ? Il vous semble soudain essentiel de prendre chaque jour  du temps pour savourer toutes ces petites merveilles que vous négligiez de regarder : ce sont des petits cailloux sur cette nouvelle part du chemin qui peut vous mener ... où d’ailleurs ? ... peut-être loin, loin ... peut-être jusqu’à vous-même… »

Ackane

 

livre

 

Le souffle des feuilles

 

            Des années durant, j’ai subi sans comprendre ses cris et ses colères. Elle pestait à longueur de journée, râlait de me trouver dans ses jambes tandis qu’elle s’activait bruyamment dans sa cuisine. À l’image de son humeur, les casseroles s’entrechoquaient, les fourchettes et les couteaux cliquetaient violemment, les assiettes menaçaient de se briser dans la rage qu’elle mettait à les empiler, à les ranger. Je finissais toujours par m’enfuir.

            Mon répit était de courte durée puisqu’il ne se passait pas cinq minutes avant qu’elle ne hurle mon nom dans l’inquiétude qu’elle avait de savoir où je m’étais cachée.

            Ma mère était animée d’une violence et d’une rancœur qui envahissaient la maison sitôt qu’elle posait le pied hors de son lit. Ma mère ne parlait pas, elle criait, s’époumonait, hurlait. Chaque petit évènement de la journée devenait un drame dans lequel elle tenait le premier rôle. Tantôt elle était la femme incomprise, malaimée, mésestimée de son bon-à-rien de mari, tantôt la mère éreintée, harassée, exploitée par sa fille ingrate, moi.

VLG

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22 mars 2014 6 22 /03 /mars /2014 00:00

 

Arboretum.jpg

Derrière la vitre. Dimanche après-midi. A la lumière de la Lune. Le temps s’est arrêté dans le jardin. Les chaises semblent comme coulées dans la cire. Les feuilles des arbres ne bougent plus. Les oiseaux ne chantent plus. Les insectes ne bougent plus. J’ai cru voir une statue se déhancher là bas derrière la haie.

Dans l’atelier, sur le dos, les jambes repliées, c’est comme si mes sanguines me suivaient du regard. Mon jardin, si familier d’ordinaire, me semble soudain si étrange, presque inquiétant.

« Il est venu un jardin cette nuit, qui n’avait plus d’adresse. Un peu triste, il tenait poliment ses racines à la main… On lui a montré un assortiment de pots de fleurs. Il avait bien sûr le droit de faire des essayages mais il n’avait pas le cœur à cela, on le voyait bien. Ses oiseaux ne chantaient plus. Ses fleurs se tenaient serrées les unes contres les autres, intimidées, n’osant plus s’ouvrir.

Tout le monde était très gentil avec lui pourtant. Le conseil municipal avait engagé une armada de jardiniers pour s’occuper du jardin. Le temps était ensoleillé pour la saison mais le jardin qui n’avait plus d’adresse pleurait sans bruit et la terre mouillait ses racines et transformait la ville en bourbier végétal.

Véronique V

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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:00

 

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    Le vent souffle, siffle sans interruption depuis le début du jour. Il étire les nuages, les déchire, les pousse, les tire dans le ciel. Tels des moutons affolés, ils se précipitent, fuient à l’intérieur des terres. Une tempête se prépare.  Au loin l’horizon se  noie, disparait entre la noirceur du ciel et de l’océan mêlés.

    Depuis son promontoire, à l’extrémité de cette pointe de terre qui fend les flots telle une étrave, une fillette insouciante contemple d’un œil ravi le spectacle mouvant qui s’offre à elle. Elle aime ce jeu de cache-cache entre le soleil et les nuages dont elle voit les ombres courir à la surface de l’eau. La mer se pare de couleurs changeantes. Le vert émeraude côtoie le bleu sombre et le gris ardoise. Les vagues s’ornent de fines dentelles. Leurs crêtes mousseuses et blanches dansent dans un ballet gracieux qui la charme. Zoé les regarde approcher, en choisit une et tente de la suivre des yeux le plus longtemps possible. Elle retient son souffle quand enfin elle vient éclater en gerbe bruyante contre les noirs rochers. Depuis son abri, au creux d’une aspérité de la pierre, l’enfant bat des mains, rit de cette peur piquante au milieu de sa joie. Personne ne sait qu’elle est là et c’est tant mieux ! Elle est fatiguée de ces discussions d’adultes. Ils parlent d’elle comme si elle n’était pas là. Et Zoé par ci, et Zoé par là… Les mots volent au-dessus de sa tête. Elle ne comprend rien de tout ce que cela peut vouloir dire. Mais l’inquiétude qui perce dans la voix de son père lui donne envie de pleurer, et la colère qui gronde sourdement dans celle de sa mère la blesse sans qu’elle sache pourquoi. Les gens disent d’elle qu’elle ne saura jamais lire, ni compter, ni rien ; qu’on peut bien consulter tous les médecins de la terre, on n’y changera rien ; qu’elle est née sous une mauvaise étoile et qu’il faudra toujours quelqu’un pour veiller sur elle.

    — « Zut ! Mazette et Zèbre gris ! » Zoé en avait eu assez et était partie. « Ze vais leur montrer que ze peux me débrouiller toute seule. Quand ze reviendrai, ils ouvriront des yeux comme des citrouilles, tellement ils seront épatés et fiers. Ils arrêteront de parler. Ça fera du silence. On entendra zuste le ooooooh tout doux qui sortira de leur bouche ronde. » 

    Zoé sourit de cette image dans sa tête. Le vent fait voltiger ses cheveux en tous sens. Elle aime ces petits chatouillements tout autour de son crâne. Les herbes dansent et ploient dans l’air mugissant. Un cri dans le ciel… De son regard émerveillé, elle suit le vol silencieux de trois goélands qui planent au-dessus d’elle.

 

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    Il s’appelle Barnabé. Mais à vrai dire, il n’en est pas certain. Cela fait tellement longtemps que son prénom n’a pas résonné à ses oreilles qu’il l’a presque oublié. Tout recroquevillé sur sa chaise, les coudes posés sur les cuisses, son menton mal rasé dans la paume de ses deux mains, il s’est posté depuis le matin si près de la fenêtre qu’il peut sentir le filet de vent qui filtre dans les boiseries mal jointes. Peu importe cet air glacial qui lui raidit les membres. Il en a eu la certitude dès qu’il a ouvert l’œil. Aujourd’hui, au milieu de sa solitude, quelqu’un allait venir. Alors il s’est posté là et n’en bouge pas. Il attend.

    La force de l’habitude le rend aveugle au décor qui se dessine derrière la vitre. Sa vieille ferme a perdu son éclat d’autrefois. Dans la cour, les mauvaises herbes ont poussé entre les pavés gris au point de les cacher à certains endroits. Les branches du vieux pommier ploient jusqu’à terre. Une d’elles a fini par se fendre, puis se briser sous le poids des fruits que plus personne ne vient cueillir. Les clapiers, abandonnés depuis longtemps sont couverts de mousse verte. Exposés à toutes les intempéries, le tracteur, la vieille charrue, les outils, tous ont rouillés, oubliés là. Un soir de tempête, le vent s’était engouffré entre les planches mal jointoyées de la grange et d’un coup, d’un seul, tel un géant hurlant et vociférant, il avait arraché le toit de tôles ondulées. Barnabé s’en souvient. Ce soir-là la lumière peinait à traverser la couche de nuages. Le ciel était gris de plomb. Le monde alentour avait pris une teinte verte, ou bleue peut-être…. Barnabé ne saurait plus le dire. Par contre, derrière sa fenêtre, il ne s’y trompe pas. À cet instant précis, il a de nouveau, comme jadis, cette même et étrange impression de se trouver au fond d’un aquarium.

    Un éclair illumine le paysage. Presque instantanément un coup de tonnerre explose. Les vitres en tremblent. Barnabé sursaute violemment. Il se retrouve, sans même s’en rendre compte, debout. Son cœur bat la chamade. La tempête est là. L’orage hurle au-dessus de lui. À coup sûr, la foudre n’est pas tombée bien loin. Tordant le cou, il tente vainement d’apercevoir quelque chose dehors. Au cœur de la tourmente, la nuit semble être brutalement tombée. L’obscurité envahit la pièce. Une pluie violente, dense, s’abat sur la terre, martèle les carreaux de la fenêtre dans un vacarme assourdissant. Impossible de rien voir. Il ne reste plus qu’à attendre. Barnabé les connait bien ces tempêtes à l’approche de l’hiver. Elles ne l’impressionnent plus. Il connait leur pouvoir de destruction, mais pour ce que ça lui fait, à lui. Ca fait belle lurette qu’il laisse tout aller à vau-l’eau. La vie ne lui a rien apporté de bon. Il a eu son quota de malheur. Le ciel peut bien lui tomber sur la tête. Qui sait ? Il s’en trouvera peut-être mieux.

    Il s’est trompé. Cette intuition ce matin, ça avait été du grand n’importe quoi. Qui donc maintenant pourrait bien venir, avec un temps pareil qui gardait chacun prisonnier chez soi ? Il est fatigué, Barnabé. Tellement fatigué. Fatigué de solitude, de chagrin, de manque d’espoir…  Prenant appui sur le rebord de la fenêtre, Barnabé, amorce un geste pour s’assoir, prêt à se laisser tomber de lassitude sur la chaise qu’il a placé là ce matin.

    Dehors, un mouvement, un éclat blanc vient suspendre son geste. Quelque chose, quelqu’un, vole, court dans le noir. Barnabé rage de ne pouvoir mieux voir. Les éléments en furie l’aveuglent, l’assourdissent. Il se précipite vers la porte. Le vent couche la pluie à l’horizontal. En quelques secondes Barnabé est trempé, le pallier inondé. Il n’en a nulle conscience. La lumière éclatante d’un éclair déchirant le ciel lui a révélé l’improbable. Il reste les bras ballants, hébété, ahuri tandis qu’une fillette, roulant des yeux affolés, la bouche ouverte de terreur, court à perdre haleine vers lui, et s’engouffre avec la tempête dans sa maison.

    Sa stupeur passée, Barnabé repousse violemment le vent dehors en refermant la porte. Et ça fait comme du silence. Plus rien ne bouge au-dedans.

    La pièce baigne dans l’atmosphère immobile que seule vient rompre la respiration hoquetante de l’enfant. Dans la pénombre, Barnabé la devine terrée, recroquevillée sous la lourde table de cuisine. Il reste là, immobile, impuissant et bouleversé. Il ressent la détresse de la fillette mais il ne sait que faire.

    Dehors, le vent, tel un monstre hurlant et terrifiant, semble vouloir tout briser. Il s’acharne à vouloir entrer. Il s’infiltre en sifflant dans les moindres interstices, les moindres failles. Des tuiles arrachées s’envolent. Un volet claque violemment, inlassablement.

    Zoé, que la panique submerge, perd pied et se met à gémir. Au plus profond d’elle-même, un cri violent, encore silencieux, est en train de naître. Il enfle, gonfle, monte dans sa gorge. Soudain, une présence près d’elle la fige. Barnabé, sans plus réfléchir, s’est glissé à son tour sous la table. Il ne fait pas un geste. Dans l’obscurité, il la rassure de sa voix basse et vibrante. Instinctivement il a retrouvé ce ton apaisant dont il usait pour calmer ses bêtes au moment du vêlage. « Là… là… là… ». Cette litanie monocorde et douce berce Zoé et calme sa terreur.

 

  ---------------------------------------------------


    Le temps passe. La tempête s’éloigne. Ne subsiste que l’éblouissante clarté des éclairs qui inonde encore la pièce de loin en loin, et le grondement assourdi du tonnerre.

    Zoé relève la tête et observe le vieil homme. Une barbe de trois jours lui mange la figure. Ses cheveux hirsutes encadrent un visage ridé et buriné. Les yeux délavés qu’il pose sur elle, plein de désarroi et de douceur, achève de rassurer Zoé. Si elle est incapable de reconnaître les lettres que sa maîtresse de l’Institut essaie de lui apprendre, elle sait lire les visages et devine l’âme qu’ils abritent. Cet homme-là est bon, elle le sent. Bon, et plein d’un chagrin qui prend toute la place.

    Sous le regard franc de l’enfant, Barnabé ne sait plus quelle contenance adopter. Il s’extirpe du dessous de la table et appuie sur l’interrupteur. Rien. Pas de courant. La tempête a dû faire tomber quelques poteaux électriques. Il s’en va farfouiller dans un des tiroirs du vaisselier et déniche une bougie qu’il allume en grattant une allumette. Quand il se retourne, Zoé est debout contre la table et esquisse un sourire qui semble illuminer la pièce.

    « Whao ! Une bouzie ! Comme un anniversaire ! Ze m’appelle Zoé. Et toi ? ».

    Barnabé en silence l’observe et s’attendrit. Il s’en étonne lui-même. Quelle singulière gamine, avec sa drôle de figure ronde aux yeux bridés !

    — « Tu parles pas ? Tu sais pas ? Moi, ze sais. Ze sais pas lire, pas écrire, mais ze sais parler. Les zens disent que ze suis née sous une mauvaise étoile. Ze sais pas pourquoi y disent ça. Ca fait pleurer Maman. Et moi, z’aime pas ça ».

    « Il n’y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile. » bougonne Barnabé, «  Il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel ». Il se demande d’où ça lui vient un truc pareil. Il croit vaguement se souvenir que c’est une parole de moine tibétain, mais ne se souvient plus où il a pêché ça.

    — « Ah, bah si tu parles ! Mais pas très bien je trouve ! On comprend rien de c’que tu dis. Tu dois parler plus fort et ar-ti-cu-ler !! Joséphine, l’orthophoniste, elle te dirait ça. C’est sûr ! À moi elle a appris à mieux dire. Je suis devenue super forte pour ar-ti-cu-ler. Écoute ! Pa-pi-er, pi-a-no, pa-ni-er, pa-pi-er, pi-a-no, pa-ni-er… »

    Barnabé observe le visage de cette fillette toute blonde que l’effort à réaliser l’exercice déforme. Il se sent le cœur épris de cette enfant dont plus rien ne semble vouloir arrêter le flot verbal. Les mots roulent et coulent de sa bouche, intarissables. Ils font comme des vagues de douceur dans l’oreille de Barnabé qui n’a plus parlé à quiconque depuis bien longtemps. Cette Zoé-là, qui en quelques secondes, à la vitesse d’un éclair, lui est entré dans le cœur, il ne veut plus qu’elle en sorte. Il n’en peut plus, il n’en veut plus de sa solitude. Cette gamine pétillante, étincelante lui donne des envies de revenir à la vie.

    — « Et ça, tu sais le dire ça ? Ze veux et z’exige seize chemises fines . C’est très dur et z’y arrive presque ! »

    Barnabé éclate de rire. Les yeux de Zoé s’assombrissent.

    — « Toi aussi, tu te moques de moi ! »

    — « Mais non, mon étoile filante, je ris parce que je suis content que tu sois là ! Allez, assieds-toi, je vais nous préparer un bon lait chaud pour nous remettre de toutes ces émotions. Nous verrons plus tard comment prévenir et rassurer tes parents. »

    À nouveau, un sourire illumine le visage de la fillette.

    — « Je m’appelle Barnabé. » dit le vieil homme. « Tu es la bienvenue chez moi Zoé. »

 

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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:00

 

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Conte amérindien



"C'est lorsque tu verras le Grand Cheval Blanc que les temps seront proches pour toi. " Caribou Boiteux, le sorcier de la tribu répondait à chaque fois la même chose aux questions de Petite Plume, un jeune garçon qui du haut de ses huit années voulait déjà tout savoir.
" D'où viennent les étoiles ?"
" Où sont les esprits des ancêtres ?"
" La chasse sera-t-elle bonne?"
" La saison des pluies est-elle proche ?"
Ce matin Petite Plume s'était réveillé, bien décidé à percer les secrets du vieux sage. Il alla le trouver sous sa tente et lui demanda :" Serais-je un jour capable de devenir aussi savant que toi ?" Mais Caribou Boiteux lui répétait invariablement :" C'est lorsque tu verras le Grand Cheval Blanc que les temps seront proches pour toi "
"Arrête de te moquer de moi, explosa Petite Plume. Nous avons beaucoup de chevaux dans la tribu, mais duquel me parles tu ? Je ne vois pas de quoi il est question. Réponds-moi. Le vieux sage comprit alors que Petite Plume possédait une ténacité hors du commun et lui enseigna ceci :" Le monde est rempli de messages que nous adresse le Grand Esprit mais nous ne savons pas les voir. Si tu veux connaître l'avenir et le sens des choses, c'est en fait très simple. Je vais t'expliquer. Tu dois penser très très fort à ta question puis faire comme si tu l'avait oubliée et te mettre en lien avec l'Univers , à tel point que tu dois cesser de percevoir tout ce qui existe : les lacs, les montagnes, les forêts, et même ton propre corps. Lorsqu'il te semble avoir atteint cet état , tu prononces à mi voix mais intensément ces paroles magiques :" Le Ciel m'est témoin ". Alors là, assis devant ton tipee, entre le ciel et la terre, il te faut simplement habiter le moment présent. Cela paraît très simple mais bien des gens n'y arrivent jamais. Tu peux essayer maintenant bien que je te trouve beaucoup trop jeune. "
Je te remercie, répondit Petite Plume en précisant tout de même qu'il atteindrait ses neuf printemps dans trois lunes.
Puis il pensa très très fort :" Est-ce que je serais plus tard un grand guerrier ? et juste après prononça avec toute la conviction dont il était capable :" Le Ciel m'est témoin ".  Il attendit ainsi toute la matinée en compagnie du vieux sage. Mais rien ne se produisait. " Essaie une autre question " suggéra alors Caribou Boiteux.  Petite Plume osa alors sa grande interrogation. " Est-ce que j'épouserai Petite Belette ? En ajoutant avec conviction "Le Ciel m'est témoin. "
La fin de l'après midi approchait, sans être témoin  de rien du tout. " Tu m'as menti Caribou boiteux " et des larmes de déception coulaient sur les joues de Petite Plume.
Pas du tout, répondit le vieux sage, et tes efforts ne sont pas vains. Tu apprends ainsi à discipliner les sautillements incessants de ton esprit. Quand tu verras le Grand Cheval Blanc, les temps seront proches pour toi et tu sauras que OUI est la réponse à ta question. Tu viens de subir une grande épreuve de patience et de ténacité . Sache que j'ai dû attendre d'avoir mes trente printemps pour recevoir cet enseignement, alors ne sois pas si pressé . Pour concilier les Esprits des Ancêtres, il jeta alors au vent quelques feuilles de sauge et prononça lentement ces mots :" le Ciel m'est témoin ".
Le temps s'écoulait lentement et l'ombre d'un grand sapin s'étirait démesurément devant eux jusqu'à les atteindre. Le ciel, dégagé tout le jour, se peuplait de petits nuages sous l'effet d'une douce brise du soir, en passant  du blanc au blanc-bleu puis au bleu-gris puis gris-blanc. Très haut dans le ciel un grand aigle qui semblait guider un plus petit raya le ciel en direction du soleil déclinant.
" Le Grand Cheval Blanc ! Il est là, le Grand Cheval Blanc, s'écria brusquement Petit Plume. Je le vois. Regarde ! Regarde ! " Son agitation était intense .
Dans le ciel du soir se modelait doucement sous ses yeux un grand nuage en forme de cheval . Pas de doute. Tout y était :  ses naseaux, ses oreilles, son encolure garnie d'une longue crinière et même ses deux pattes avant incroyablement précises. Ils profitèrent ensemble avec une grande joie de ce merveilleux message du Grand Esprit. Il n'y avait alors plus d'élève et plus de maître mais deux êtres en union avec l'essence des choses.
Petite Plume était tellement heureux qu'il en avait oublié sa question. Il s'en voulut beaucoup mais se promit qu'il ressaierait bientôt l'expérience à propos de Petite Belette.
Il commençait à sentir confusément qu'à un certain niveau des choses tout est relié, le ciel avec les nuages, le vol des oiseaux , le vieux sorcier, lui même, les arbres, les lacs et les forêts . Il percevait vaguement que l'Intelligence du Grand Manitou englobe chaque élément, tisse des liens invisibles entre tous les aspects  de l'univers, et même peut-être sa propre pensée.
Habité par ces considérations d'une rare sagesse, il se sentait en même temps très petit et très important.
L'image de Petite Belette lui revint alors et son cœur se remplit d'une indescriptible douceur. Peut-être y avait-il dans les nuages un chemin qui pourrait les rapprocher ? Nourri de ces émotions, Petite Plume perdait toute conscience du temps qui passe, mais le temps passait.
Ce qu'il ignorait, c'était qu'au même moment derrière lui, au village, une petite fille du même âge nourrissait les mêmes pensées pour sa personne.
Petite Belette faisait elle aussi mais d'une autre façon son apprentissage de la vie. Sous l'œil vigilant de sa tante Tisane Brûlante qui n'était autre que l'épouse du chef Vautour Puissant , elle faisait petit à petit son éducation aux choses essentielles que toute femme doit savoir. Bien sûr elle en était aux rudiments mais quand elle serait grande, elle saurait entretenir le foyer, faire la cuisine, filer, coudre, élever les enfants. Elle apprendrait avec Tisane Brûlante les extraordinaires pouvoirs des herbes médicinales. Pour l'instant elle passait déjà bien le balai mais son rêve allait bien au delà : devenir l'épouse attentive et modeste du futur chef de la tribu.
Elle aimait particulièrement Petite Plume, ce jeune garçon à peu près de son âge et qui était sans nul doute le plus vaillant des enfants du village. Mais son idéal d'épouse parfaite était perturbé. Certes Petite Belette était une bonne élève, bien appliquée à suivre les consignes mais d'un autre côté son tempérament rebelle et bouillonnant s'énervait facilement et s'accordait mal avec la douceur féminine espérée. Tout celà était bien difficile à concilier. En ce moment précis, elle était sous la toile de la grande tente , tournée vers l'ouverture qui servait de porte en direction du soleil couchant. Sans réfléchir elle demanda:" Dis moi Tisane Brûlante, toi qui sait tant de choses , peut-on connaître l'avenir?
C'est difficile mais pas impossible, répondit cette dernière. L'univers est rempli de messages que nous adresse le Grand Esprit mais nous ne savons pas les voir.
Si tu sais, apprends moi s'il te plait.
C'est accordé, car je suis contente de toi puisque tu es une bonne élève, mais sache que moi j'ai dû patienter jusqu'à mes trente printemps pour connaître ces choses cachées.
Viens à côté de moi et enlevons nos mocassins  pour mieux sentir notre Mère la Terre. Nous allons nous accroupir et interroger le miroir magique.
Petite Belette ne comprenait pas grand chose mais faisait toute confiance à Tisane Brûlante. Cette dernière prépara alors une infusion d'herbes de la montagne dont elle avait le secret, puis la filtra au travers d'un linge propre et remplit ainsi un grand bol de bois. " Voilà notre miroir, plaçons-le devant nous en direction du jour et observons sa surface sans cligner des yeux . Elle jeta ensuite une poignée de feuilles de sauge dans le feu et côte à côte elles attendirent en scrutant la surface de l'eau verdâtre.
"Le Grand Esprit qui parle à l'Esprit de Tisane Brûlante me dit que nous devons très fort penser à une question , et dire ensuite " L'Eau m'est témoin "et lorsque apparaitra dans le miroir le Grand Poisson Blanc tu sauras que la réponse est OUI". Au bout d'un très long moment, Petite Belette crut voir le poisson-messager. Elle savait que c'était le reflet d'un gros nuage dans le ciel du soir mais qu'importe. Elle recevait la réponse à sa question secrète sans vouloir cependant la dévoiler à Tisane Brûlante. Cette dernière respecta ce choix mais ajouta malicieusement :" Regarde le poisson, il s'allonge et s'affine ne dirait-on pas comme un sorte de plume légère ?
Tu la vois aussi?
Seul importe ce que tu vois toi. Retiens bien ceci. Le Grand Esprit est relié avec chacune de nos consciences comme les rayons du soleil couchant se dirigent vers chacun d'entre nous à la surface du grand lac. Le message qu'il envoie n'a pas de forme particulière. C'est notre conscience qui modèle la forme que prend la réponse . Pour une même manifestation certains verront une marmite, ou un rocher ou un renard ou un bison. Tout dépend de ce que nous portons en nous. Je vais te donner un exemple au hasard. Imaginons que la question concerne Petite Plume et que tu vois sous tes yeux se façonner la forme d'une plume, tu as ta réponse. L'univers te manifeste sa présence par une force que ta conscience va modeler en fonction de ta question . Et ce sera TA vérité.
Tu es trop petite encore pour connaître ces choses mais je vois que tu apprends vite. Sois attentive aux signes de la nature, c'est elle la principale messagère du Grand Esprit auprès de chacun d'entre nous.
Un chemin invisible et unique relie l'Univers à Petite Plume, à Caribou Boiteux, à Petite Belette, à Tisane Brûlante, à Vautour Puissant, à tout être venu au monde et par conséquent à toi même qui reçoit cette histoire. Il est comparable à ce rayon privilégié de lumière qui part du Soleil couchant, se reflète sur les eaux du grand lac et rejoint précisément chaque personne même dans ses déplacements. C'est le chemin que le Grand Esprit a préparé  pour communiquer avec chacun d'entre nous.


J. Y. S.  Février 2014

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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:00

ciel pour mimo
                     REVE BLEU

   Les vautours gris, tournoient majestueusement dans le ciel constellé de fines particules de pous-sières rouges. Le soleil termine paisiblement sa course quotidienne en rougeoyant longuement, et  plonge derrière l’horizon, provoquant un gigantesque incendie de la voûte céleste. L’atmosphère commence à fraîchir quelque peu, et la chaleur devient supportable. Je contemple, assise sur un muret de briques de terre cuite, le ballet des charo-gnards qui voguent là-haut,  sur les courants d’air qui les portent. Ils se laissent glisser, soutenus par la brise du vent, guettant d’un œil perçant, ce qui pourrait leur servir de festin.
     Le ciel a doucement viré à l’ocre roux, et les chauves souris ont débuté leur ronde nourricière. Je n’aperçois plus les grands rapaces qui ont fui plus loin ou regagné leur repaire.
      Des moucherons, moustiques et autres insectes prédateurs, sont apparus comme par magie en ce début de soirée, à la recherche de leur pitance. Ils vrombissent hardiment et se découpent en ombres chinoises dans le ciel safran. Un grand silence entoure soudain le village. Il règne un calme de fin du jour. Les meuglements plaintifs du bétail ont cessé. Sans doute, les jeunes gardiens en charge du troupeau, ont-ils conduit leurs bœufs  loin du campement à la recherche de nouveaux pâturages afin d’y passer la nuit. Les trois adolescents responsables de cette mission, ont empoigné fièrement leur grand bâton pour seul bagage : ni eau, ni nourriture. Ils mangeront….  Peut-être…. Demain ….  Au retour.
     La pénombre a gagné du terrain aux alentours, et des étoiles commencent à scintiller fièrement au firmament. Rien de commun sous nos latitudes où nos nuits occidentales  sont toujours éclairées par quelque lumière artificielle, empêchant toute contemplation de ciel urbain. Ici, dans ce village perdu au centre du continent africain, pas d’autre éclairage que celui des astres,  le soleil pour le  jour, la lune, les étoiles pour les ténèbres.  Dans le silence qui m’enveloppe, je me plante, le nez dans les étoiles, tête posée sur mes mains en corolle, coudes appuyés sur les genoux. Elles apparaissent de plus en plus distinctement à mesure que le ciel se teinte de noir. Elles sont millions, elles sont légions, en amas blanchâtres, en traînées laiteuses.
     Instant magique ! Je n’ai jamais observé autant d’astres suspendus au-dessus de ma tête.  Ça grouille là-haut, tels des essaims d’insectes blancs, des farandoles de lucioles endimanchées. C’est tout un tintamarre incandescent, une sarabande nocturne. Je devine dans le lointain, sur la ligne d’horizon, cette silhouette circulaire que dessine notre planète ronde. Des étoiles filantes zèbrent  l’azur régulièrement, tombant quelque part, peut-être,  en mille particules dorées.
    Vite ! Un souhait ! Comme lorsque j’étais enfant. Ma mère  disait toujours : « lorsqu’un astre tombe, il faut faire un vœu ». Vœux, souhaits, chimères, mirages, utopies… Pourquoi ne pas tenter le rêve sous cette  voûte africaine devenue  encre noire, profonde, tangible et palpable.
      L’obscurité s’est totalement propagée dans un doux silence.
     J’ai sorti ma moustiquaire et m’installe pour une nuit à la belle étoile, afin de profiter de la chorégraphie des astres punaisés sur l’immense toile noire. La profondeur du ciel est singulière ;  l’impression d’espace infini trouve là,  tout son sens. Les étoiles sont insaisissables, perchées tout là-haut dans le firmament,  à la fois  proches et inaccessibles dans leurs suspensions.
      Je ferme les yeux.
    Des milliers de points lumineux restent comme imprimés, incrustés sur mes pupilles. J’effectue un clignement rapide pour m’apercevoir qu’il n’y a plus de différence entre la voûte céleste et la photo que mon cerveau a mémorisée. Je referme les yeux. Je laisse voguer le songe.
   Une lueur très lointaine, bleutée, remplace peu à peu la myriade d’étincelles argentées. Cette nouvelle clarté, telle un lumignon indigo, se rapproche lentement,  flamme mouvante qui peut grossir brutalement,  pour exploser en un grand soleil bleu. Je joue un moment avec cette lumière azur qui avance et recule, s’amplifie ou s’amenuise. Je constate que j’ai le pouvoir de modifier l’aspect de cet astre bleu. Puis,  je le perds. J’ouvre les yeux. Le rayonnement de la voie lactée s’est encore accentué.
Pas un souffle d’air, aucun bruit.
    Je fixe intensément le ciel et vois une forme blanche se détacher des nues. Je scrute la chose qui ressemble à un gros cumulus joufflu et bienveillant. Il s’épaissit, prend de la consistance  et vogue joyeusement, effectuant une sorte de pas de danse. Une envie irrépressible de sauter sur le dos de ce nuage farceur m’empoigne.  Je veux jouer avec lui dans l’infini. Il suffit de vouloir sans doute, puisque je me retrouve à califourchon sur cette ouate cotonneuse. C’est doux, onctueux, soyeux. Dans une atmosphère laiteuse et aérienne, irisée de mille feux follets, je navigue au gré des fantaisies de mon mouton blanc. Cette apesanteur est douce et apaisante. Elle permet toutes les audaces, toutes les extravagances.  Je me prélasse,  me love,  dans ce moelleux, composé de minuscules bulles d’air vaporeux. Je repose sur un  matelas douillet, velouté, nacré de satin,  irisé de paillettes. Je flotte au milieu des astres qui me scrutent de tous leurs rayons d’or. Une étoile filante, s’est posée contre ma joue et me murmure une musique céleste. Si le paradis existe, ce doit être quelque chose comme ça.
       J’aperçois une masse lumineuse éblouissante, près de moi. « C’est le dos de Madame La Lune » me chuchote ma douce météorite opaline. La lune ? Je vais être dans la lune !  Un grand éclat de rire jaillit de ma bouche.
     Je sursaute et me réveille brutalement ! Je me suis emmêlée dans ma moustiquaire. Des bruits de toutes sortes arrivent des bas fonds.  Un âne, brait tristement et  lance sa plainte funeste vers le village. L’aube n’est pas loin. Les oiseaux s’éveillent bruyamment et proposent l’aubade quotidienne. Ça jase, ça stridule, ça caquette, ça chante, ça gazouille, ça vocalise. Une symphonie !
     J’écoute ce concert extraordinaire, referme ma moustiquaire, et demeure allongée sur mon lit de fortune. Un joyeux tintamarre sort des grands banians, juste derrière moi, et les feuilles s’agitent ici et là. C’est l’heure de la toilette matinale. Les oiseaux s’ébrouent, lissent leurs plumages, peaufinent l’astiquage en discutant hardiment avec les voisins : « T’as passé une bonne nuit ? Comment va ta famille ? Et les petits ? La santé, les projets » …. A l’instar des habitants qui savent accueillir le touriste et s’inquiètent de sa vie avec la batterie de questions : Lafi ? Lafi ! Lafi balla ? Lafi balla ! Lafi bémé ? Lafi bémé ! On prend le temps, on a le temps, on s’informe, on se respecte, on se salue. J’ai le sentiment que c’est le même phénomène qui se déroule ici, dans la clairière, avec cette aube naissante. Les oiseaux se racontent, s’expliquent, s’écoutent, se saluent.
       Des cris,  et des voix enfantines résonnent dans le lointain. Des bruits de vaisselle de fer blanc tintent joyeusement à mes oreilles. Le village s’agite lui aussi.
      Une lueur pâle,  émerge progressivement autour de moi. Il va faire jour bientôt. Dans le ciel tout est changé. Les étoiles pâlissent dangereusement comme atteintes d’une maladie grave, tandis que le croissant de la lune s’est éteint. Seul, reste le négatif de sa silhouette encore imprimé dans le  ciel, telle une empreinte moulée.
     Mon gros cumulus a disparu ! Mon rêve s’étiole, mon rêve s’évapore, mon rêve s’effiloche. Comment le retenir encore un instant ? Des rires, des cris, des chants d’enfants déboulent de la clairière. La vie reprend  ses droits,  c’est l’aurore. Peut-être,  ce soir,  me sera-t-il permis de retrouver mes amis scintillants et ouatés, pour une nouvelle échappée fantastique en leurs compagnies ?
      Qui sait ? Tout est possible.
 
                                                                                 Mimo
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19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:00

 

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C’est un jour long et sombre. Marie tourne en rond, le cœur perdu. Elle en a assez de sa vie en ligne droite et monotone où elle craint de s’endormir, voire de mourir. Son avenir lui semble voué au néant. La blessure est là, immense, sans fond et elle ne supporte plus d’être ici, seule. Pour ne pas se noyer tout à fait, ce jour là Marie décide de s’occuper en rangeant le grenier. Elle monte l’escalier, et c’est déjà comme fuir. Dans l’antre poussiéreuse, elle se sent mieux soudain. C’est comme une tanière, un refuge où se cacher, où personne n’aurait idée de vous chercher. Elle ferme la porte : plus de téléphone, plus de sonnette, plus de contacts ...

Dans le bric à brac bariolé, les témoins de diverses époques de sa vie s’entassent et s‘emmêlent. Les objets proches de la porte sont vite reconnus, mais ce qui attire d’emblée Marie, c’est le fond du grenier : au plus loin, au plus profond du lieu et d’elle-même.

Malgré le faible éclairage, elle repère très vite ce petit carton défraichi qu’elle tire près de la lucarne.

Marie essuie un peu la poussière avec le dos de sa main et reconnaît avec émotion l’écriture de sa mère: « Affaires de Marie jeune fille ». Elle tarde à l’ouvrir : ce carton a suivi chacun de ses déménagements, sept en tout, chaque fois remisé au fond du grenier, jamais ouvert ...

La curiosité de Marie grandit et elle écarte les rabats. Sur le dessus, elle reconnaît immédiatement l’écriture de Giuletta, la correspondante italienne de ses 15 ans. C’est tout un paquet de lettres, tenues ensemble par un ruban bleu, qu’elle soulève le cœur battant. Elle revoit ces quelques mois où, enfermée dans sa chambre d’adolescente, elle prenait de longs temps d’écriture et laissait l’encre coucher ses pensées sur le papier. Tant de sentiments partagés, d’histoires racontées, de secrets confiés. Tant de bonheur à se découvrir l’une l’autre ...

Les yeux de Marie reviennent vers l’intérieur du carton et surprennent un autre paquet de lettres retenues par un même ruban bleu. Bien étonnée, elle reconnaît sa propre écriture ou plutôt l’écriture de ses quinze ans, âge où elle tentait de savoir qui elle était en s’essayant à diverses tailles et formes de lettres. C’est tout le courrier qu’elle-même avait écrit à sa chère amie romaine. Un trouble intense envahit Marie : elle revoit soudain ce bref séjour à Rome, où elle s’était rendue précipitamment, avec des larmes de sang, pour un ultime adieu à Giuletta. Après la cérémonie de funérailles il y avait eu un repas dans la villa. La maman de son amie l’avait serrée très fort contre elle quand elle allait repartir , et lui avait donné ce paquet de lettres contenant la moitié de leur complicités adolescentes.

 

Ackane

 


 


Correspondance entre Victor et Liselotte,

Lui dans le Poitou et elle en Allemagne.

 

Delphine avait le cœur serré à l’idée de vider la maison de Victor son grand-père. Depuis  son décès, elle avait trouvé dans une vielle malle en bois ciré du grenier, tout un paquet de lettres jaunies, bien conservées malgré le temps, dans une boîte en métal hermétiquement fermée.

La forme des enveloppes différaient selon qui avait écrit. Certaines, longues et grises venaient d’Allemagne, les autres,  blanches, carré, avaient le tampon de Poitiers. Elles étaient là empilées depuis Dieu sait quand, créant un feuilleté mystérieux.

Alors que tout le monde s’affairait au milieu des cartons et des meubles pour le déménagement, Delphine s’isola sous les combles et commença à défaire le ruban de taffetas bleu turquoise qui enserrait les lettres.

La première qu’elle lut la bouleversa aux larmes. Elle était signée de Victor qui évoquait ses dures années de captivité, dans le froid, la faim, la peur, et les mots qu’il employait malgré la dureté des évènements, étaient chargés de finesse et de poésie. Jamais elle n’avait entendu son grand-père parler en ces termes, lui plutôt réservé, laborieux et même un peu bourru dans le quotidien.

Ce qui la troubla le plus, c’était l’évocation qu’il faisait de cette femme Liselotte à laquelle il écrivait et dont visiblement il était très amoureux.

Tout était délicatesse et tendresse.

Il y en avait une qu’il avait dû écrire dans un train qui le ramenait en France et qui disait :

 « Ma belle Liselotte, ma bien-aimée,

Il fait à peine jour et j’ai froid.  A cette heure-ci je n’ai pas encore passé la frontière. Le train roule doucement, il va certainement y avoir un changement, je ne sais pas trop ce qui se passe, on entend  des soldats.  J’ai un peu de temps devant moi, enfin j’espère.

Dans ce sinistre wagon je commence une lettre d’amour pour toi ma douce. Nous commençons une longue attente et mon cœur est douloureux de la distance qui désormais nous éloigne à jamais.

Si tu savais ma douce comme tu me manques déjà, comme le roulement métallique et saccadé du train me donne envie de hurler mon désarroi, mon désir de retourner vers toi ! Mais la guerre est là !

Tu m’as sauvé la vie, soigné avec tellement d’attention et d’amour à l’hôpital. Je défaillais devant ton regard si tendre, si bleu, si lumineux quand tu venais dans ma chambre au moment des soins. Tes piqûres, je ne les sentais même pas !  Ta main sur mon bras, ta manière de me toucher, tout me semblait caresse. Ton parfum flotte encore autour de moi et jamais je n’oublierai nos instants de bonheur quand il nous arrivait de pouvoir nous retrouver seuls tous les  deux. Ces moments étaient rares mais si délicieux, si précieux !

Tu as fait en sorte qu’on ne me renvoie pas au front et pour cela je ne te remercierai jamais assez, mais c’est  aussi pour cela que je rentre au pays.

Tu me sauves la vie et la vie nous éloigne l’un de l’autre… Quelle absurdité ! Quelle cruelle injustice ! J’espère au plus profond de moi que nous nous reverrons un jour mais sache que mon cœur est à jamais tourné vers toi, ma belle, ma douce Liselotte…»     Victor

Bouleversée et sous le charme de cette lettre de son grand-père, Delphine se hasarda à soulever le ruban turquoise et à tirer délicatement du paquet, une longue enveloppe grise. Les lettres de Liselotte pour Victor avaient gardé malgré les années,  un doux parfum de roses anciennes. Ce qu’elle écrivait, l’était dans un français approximatif, délicieusement maladroit mais tellement plein d’amour aussi…

Elle commençait par une magnifique déclaration à l’encre violette d’un poète français :

« Quand on est dans l’amour et qu’on ne voit pas son amour, on regarde très haut dans le ciel, c’est là que les regards des amoureux se retrouvent, se voient, se touchent des doigts. »

Comment ces lettres se retrouvaient-elles là ? Est-ce que grand-mère savait ? Sans doute, mais dans la famille,  personne jamais, n’avait parlé de cette histoire.

Toute émue, Delphine renoua soigneusement le ruban de taffetas bleu, referma la boite métallique qu’elle déposa doucement dans le coffre en bois ciré et se promit de toujours garder précieusement les écrits qu’avaient échangés son grand-père et Liselotte.

                                                                                                        Clo Th


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15 février 2014 6 15 /02 /février /2014 00:00

Une grotte rassurante

 

Une grotte rassurante, où la nuit mystérieuse et magicienne devient créatrice de vie. Lieu paisible où l’être se construit. Matrice généreuse qui pourvoit aux besoins, qui protège et nourrit.
 Mais le temps est compté, et le but n’est pas d’y rester. Un jour, il faut naître au monde, passer de l’autre côté, dans la lumière aveuglante et le brouhaha.

Une grotte rassurante d'Ackane

Nouvel être bousculé qui découvre la faim et le froid, te voici pleinement humain, tout petit, mais appelé à grandir, à évoluer, à devenir sans cesse ... Souvent, heureusement, des bras rassurants se mettent en rond autour de toi, créant ton nouveau refuge, pour t’accompagner, te protéger, te nourrir et t’aimer. Ils t’emmènent parfois en promenade : émerveillé, tu peux alors, par tous tes sens, découvrir ce monde foisonnant peuplé de fleurs odorantes et d’arbres majestueux, de brins d’herbe qui chatouillent ... Les couleurs circulent dans tes cellules toutes neuves, bleu, vert, rouge, ocre, parme jaune, brun ... Tant de créatures s’agitent en tous sens : papillons colorés, poissons frétillants, oiseaux chanteurs. Tu découvres aussi des espaces où végétaux et animaux ne sont pas invités : rue, maison, voiture, commerce ... C’est là que tu apprends que d’autres te ressemblent : grands, très grands, ou tous petits comme tu l’es encore. Ils te parlent, te sourient : tu les observes avec beaucoup d’attention et tu commences à leur parler aussi. Tout t’intéresse, le dedans, le dehors : l’aventure est partout, la découverte passionnante. Pour le moment, il n’y a pas d’espace en toi pour installer la nostalgie. Le monde te happe, la vie t‘absorbe tout entier.
Un jour, peut-être – beaucoup plus tard – tu ressentiras profondément en toi que cette matrice originelle a existé. Et qui sais, tu auras envie d’y retourner ... ou pas !

Ackane    

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22 janvier 2014 3 22 /01 /janvier /2014 00:00

 

Elle 00

 

" Au lieu d'aborder de front la difficulté quasi insurmontable qui consite à rédiger un récit continu, tu te contentes d'écrire des fragments comme ils viennent. Le fait que le travail soit exécuté par fragments réduit la responsabilité. Tu n'es pas engagé par chacun de ces textes. Ce sont de simples possibilités, des pierres d'attente qui ne t'obligent pas. Puis tu mets les fragments bout à bout en rédigeant, de façon également hâtive, et en pricipe provisoire, les phrases (au besoin les pages) de liaison qui permettront de les joindre. Cela encore ne t'engage pas trop. Il ne s'agit après tout, que de transitions, dont tu n'es pas forcément satisfait et que tu pourras revoir. Ainsi, sournoisement, tu finis par te trouver en présence d'un texte continu, fait de pièces et de morceaux, plus ou moins bien cousus. Reste alors la dernière étape : tu te relis, tu corriges, tu supprimes, tu modifies, de telle sorte que la véritable continuité, celle que tu n'avais pas voulu assumer jusque-là, apparaisse. Tu peux le faire parce que tu n'es plus en présence du vide. La terreur et l'attrait qu'exerçait ce rien - et qui favorisait toutes les erreurs, toutes les fausses pistes, vite empruntées et aussitôt abandonnées - ont disparu.

 

Bernard Pingaud

 

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     ELLE

 

               Ce qu’il y a de bien avec les souvenirs c’est que le temps ne les rabote pas.

            Une quarantaine d’années ont passé depuis ma rencontre avec elle et je n’ai rien oublié. Le poids des ans ne nous épargne pas. Les petits maux du grand âge arrivent en masse. Peu m’importe ! Je traverse le temps comme en apesanteur. Mon amour d’elle ne fait pas mon âge. Je l’aime comme à 16 ans.

            Elle habille notre maison de touches de couleurs chaudes. Sur les murs blancs de chaux, ses toiles, comme des mosaïques de lumière, sont accrochées. J’aime à la regarder peindre. J’aime ses mouvements amples et  sûrs quand, tel un chef d’orchestre, elle compose ses tableaux. À grands coups de pinceaux, elle dépose des notes de rouge, de brun, de jaune orangé et d’ocre. Lorsqu’elle suspend son geste, que tout est fini, elle pose sur moi ses yeux sombres. J’aime à cet instant précis son air perdu, cette vulnérabilité qui affleure. Elle me fixe de son regard noyé. Je sais alors qu’il est temps que nous sortions. Elle a besoin de ces grands bols d’air pour reprendre pied. Elle aime les escapades dans les près. Elle marche à belles enjambées, serpente et sillonne au gré de ses envies au milieu des herbes hautes, des fougères, des buissons. De ces vivifiantes échappées, elle rapporte toujours des brassées de fleurs multicolores.

             Elle a un avis sur tout. Elle cause, cause, cause. Et patali et patala. En veux-tu, en voilà. Je ne fais pas le tri. Ce qu’elle chuchote à mon oreille souvent me traverse l’âme et le cœur. Parfois ses mots s’envolent… éphémères. Jamais je ne m’en lasse. J’aime son bavardage qui jamais ne semble devoir tarir. J’aime son exubérance.

            Et puis elle doute toujours de tout, de moi surtout. Dès que je m’absente, son imagination s’enflamme. Elle voit des choses, des images qui lui font du mal. Elle invente des histoires de mensonges, de trahisons. Son cœur tremble et palpite. De ses yeux coulent des rivières. Alors moi, je la console. J’aime sécher ses larmes, la blottir au creux de mes bras, lui murmurer des mots tendres, des mots pour ne pas avoir peur, des mots qui rassurent. J’aime lorsqu’elle s’apaise et s’adoucit. J’aime voir renaitre son sourire au milieu de ses larmes.

 

            Je sais que d’aucuns pensent qu’il est étrange que, dans ma vie, sa place à elle soit si importante. Et pourtant… Je crois connaître ses moindres défauts, mais venant d’elle, ils n’en sont pas.  Dans ses doutes, ses suspicions, je vois ses fêlures, mais aussi son indomptable imagination. De son bavardage, je fais une mélodie. De sa folie, je me nourris. Les années passent, toujours elle me surprend, me fait vibrant, vivant. Elle est la lumière de mes jours, le délice de mes nuits. Elle est mon amour. Encore et toujours.

VLG

Elle

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« Allez ! Plus haut ! Plus haut ! Prends de l’élan, appuie sur la planche avec tes pieds ! C’est super, on se voit, on se croise, ça fait du vent !

C’est mieux de se balancer à deux que tout seul ! Dis, tu crois qu’on va s’envoler ? »

« Ma pauv’fille ! Arrête de raconter n’importe quoi ! C’est quoi cette histoire de se balancer, de s’envoler ? Tu vois bien qu’on est à la maison !

Il est trop fort ton grog ! T’as mis vraiment beaucoup trop de rhum ! Regarde ! T’es complètement ivre ! T’as pris ton plateau pour un collier et tu l’as transpercé ! la tête dedans ! T’es bien avancée ! Pas facile maintenant pour déguster ! »

Les yeux au ciel, elle continue à divaguer, illuminée par les parfums tièdes et sucrés.

Elle rêve de la Guadeloupe, des cocotiers, de la mer bleue, des plages dorées.

Elle rêve du soleil sur sa peau, du goût salé des vagues, elle imagine les tortues, les dauphins qui l’appellent au loin…

Mais non, elle ne fait rien, juste son rhum à la main. Fichu destin !

La pureté du ciel, de l’eau, tout ça, elle a envie d’y croire. Assise dans son fauteuil à l’heure du goûter pourtant elle est bien loin de ces pays rêvés.

D’ailleurs ils ne se valent pas tous.

Certains sont chauds, humides envahis de forêts luxuriantes, de fleurs magnifiques où les gens se prélassent, dansent et chantent dans les rues. D’autres sont désertiques, brûlants où des reptiles silencieux se faufilent entre les rochers.

On lui a raconté tellement d’histoires, de récits de voyages !

Ce n’est pas encore pour bientôt qu’elle ira vers les pays chauds !

Le regard au fond de sa tasse, elle est lasse, elle se tasse…à quoi bon rêver ? Mais à nouveau avalant une gorgée, elle sourit : « il y a aussi la Laponie, La Mongolie…c’est froid mais ça doit être joli ? »

« Ma pauv’fille ! »

 

                                                          Clo Th

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