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12 juillet 2015 7 12 /07 /juillet /2015 00:00

Au pied du barrage, enfin non pas tout à fait… Un peu plus haut…

Après quelques ascensions  escarpées, nous voilà face à l’ouvrage, enfin non pas tout à fait… Non nous n’avons pas le nez collé au mur gigantesque, Nous sommes un peu de côté, un peu beaucoup…

Nous voilà pile-poil, le nez sur le meilleur profil du géant. Nous sommes à 2 pas de pouvoir enjamber les quelques mètres nous séparant de son chemin de crête là-haut, là-haut. Mais grillages et fils barbelés, travail et propriété privée nous en interdisent l’accès. Devant, nous écrivons.

 

TRIANGLE-RECTANGLE

J’aurais aimé la géométrie autant que la géographie si mon instituteur m’avait amenée ici, me l’expliquer.

La force du triangle rectangle, nous aurait-il dit.

33 mètres et des poussières à la base, pour s’assoir. 45 m de hauteur pour toucher  le ciel.  1m 50 de large pour parcourir le sommet, arpenter avec fierté, traverser la vallée d’une rive à l’autre sur 208 m.

J’aurais aimé la géométrie si j’étais venue l’apprendre ici.

Pour cela, bien sûr, il aurait fallu que le lac soit à sec, que ce soit l’assec du lac. Il aurait fallu que le ruisseau large soit retenu prisonnier, vannes fermées.

J’aurais compris les lois de la physique, peut-être, la poussée d’Archimède et les autres, la force de résistance et tout ce monde caché-secret

Le barrage qui résiste à la masse d’eau, grâce à son propre poids, parce que triangle-rectangle. Triangle-rectangle devenu mot magique, celui qui permet aussi aux cathédrales de ne pas s’effondrer. Triangle-rectangle l’ami du gigantisme.

Je n’ai pas eu d’instituteurs au bord du barrage, je n’ai compris de la vie que la géographie, que l’écriture de la Terre. Ses variations d’altitudes, ses variations saisonnières, ses sautes d’humeur, ses secousses. Géographie intime.  

Je n’ai eu que ses vertiges, à la géographie, ses gouffres et ses abysses, ces cieux et ses planètes.

Ici devant le mur j’ai l’émotion du vertige, pente abrupte côté droit ; virgule enlevée, côté gauche.

Et l’eau dans tout ça ?

L'eau, elle finit par se retrouver de l'autre côté et hop, ça fait de l'électricité !

Sont où les autres ? Sont barrés, le temps que j't'explique le bordel...

Clodine.B

 

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Du haut du barrage,

Plus attiré par le vivant, mon regard se porte, en premier, sur la gauche, aspiré sans doute par l'eau qui s'écoule, les arbres verdoyants, le jaune des fleurs, là, en bas. Mais, c'est un peu idiot, non, de grimper jusqu'ici sans regarder à droite ?

Regarder l'inhabituel, ce qui se découvre aujourd'hui et ne sera plus là dans quelques jours, quelques semaines, quelques mois.Cette vie qui se laisse découvrir, imaginer, moins évidente, sûrement, mais tout aussi réelle.

Désert minéral, colonisé peu à peu, par la végétation.

Eau stagnante mais grouillante, assurément, d'organismes divers et variés cherchant à se protéger de la lumière, de la chaleur, de la sécheresse.

Rochers, ruines de constructions anciennes, traces d'une vie antérieure, et surtout, empreintes de la vie des hommes d'aujourd'hui, constructions éphémères, appelées à disparaître lors de la remise en eau.

Passé, présent, futur... ça virevolte dans ma tête, tourbillon d'époques et de matières !

Et encore, je ne m'attarde pas sur la technologie, pas sûre de tout comprendre d'ailleurs, et personne près de moi pour me dire : « tu veux que j't'explique le bordel ? »

                                                                                              R.M

Sans titre,

Assise en fond de vallée, où coule encore le Blavet, sur la roche mordorée, parmi les silhouettes squelettiques des arbres découverts par l'assec, et devant les ruines de l'écluse, je me plais à imaginer l'avant barrage et à en évoquer les bruits du quotidien et les ombres fantomatiques de ceux qui l'ont vécu.

Le fonctionnaire à vélo faisant la navette entre ses deux écluses pour satisfaire la demande impérieuse des capitaines de gabarres et proposant, en passant, les fruits de son verger.

La population captive des ardoisiers vivant en circuit fermé entre les trous de carriers d'où remontaient les blocs de schiste et le café-épicerie-buvette du même patron.

L'odeur du pain qui cuit, le bruit rythmé et métallique du marteau du maréchal-ferrant sur l'enclume, les cris des animaux de la petite ferme, le hennissement des chevaux sur le chemin de halage...

Et puis, le dimanche, les notes du piano, les rires et les chants des danseurs de la maison de Grisette.

Tous ces bruits, et bien d'autres, surgis directement, presque tels quels, du fond de ma mémoire, me plongent avec étonnement et nostalgie peut-être, dans cette vie qui, désormais fait partie de l'Histoire ou de la légende.

La fin d'un monde. Abandonné, disparu, au nom du Progrès.

Le progrès, vraiment ?

R.M

Etat d'esprit,

Fin de journée.

Trouble et confusion.

Contraste et entre-deux.

Aller-retour entre hier, aujourd'hui et demain.

        Une journée entre réel et virtuel,

         réflexion et imagination,

         technologie et fantasy,

         certitudes et contradictions,

         progrès et nostalgie.

                                      Entre liaison et barrage,

                                      « ruisseau large » et filet d'eau

                                      plein et vide,

                                      masse retenue et infiltrations,

                                      énorme et minuscule,

                                      minéral et végétal.

         Entre autarcie et développement,

         stabilité et précarité,

         choix et nécessité,

         pertes et gains,

         élite et petites gens.

                                      Entre vie et mort,

                                      bruit et silence,

                                      présence et absence,

                                      foule et isolement,

                                      heures sombres et ciel bleu.

Navigation intérieure, passages incessants entre deux rives, voyages entre univers différents.

Traversées temporelles.

Fugacité et fragilité de l'instant.

Rires et poésie.

Saveur du moment.

Sérénité, malgré tout.                      

Tranche de vie !

R.M

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Vers

La langue du Blavet

 

De loin, on croyait voir des parasols

Quatre chapeaux sur des colonnes

Quatre guérites à ciel ouvert

Miradors en vol stationnaire

 

Au pied du mur qu'ils surplombaient

Un large désert s'étirait

Une gorge sèche que traversait

La langue effilée du Blavet

 

Dialogue

- Régine, conte-moi quelques grandes espérances qui t'ont ouvert des coins de ciel bleu ?

- Tu veux que je t'explique le bazar ? Un chantier sans défaillance au milieu de nulle part a surgit.

- Et il noyé les heures sombres j'imagine ? Mais Régine, as-tu pensé à t'occuper des infiltrations qui peuvent surgir sur les côtés ?

- Un coin de ciel bleu dans l'eau froide, ça réchauffe…

- Je vois. C'est au pied du mur qu'on le voit le mieux c'est ça ? Ou c'est au pied du mur qu'on y danse tout en rond comme le dansent les Poulpiquets. C'est l'euphorie contre la furie des eaux en quelque sorte ! Sauras-tu placer la dernière expression manquante avec le naturel qui te caractérise ?

- Du rêve à la réalité  il n'y a qu'un pas. Sauter le mur, peut-être ? Les heures sombres sont derrière nous. Allez, on y va ? Moi j'ai faim !!

Gwenaël

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Deux dialogues croisés, comprenant les expressions : Du rêve à la réalité/les grandes espérances/c’est au pied du mur/les heures sombres/une poursuite sous contrainte/un coin de ciel bleu/un chantier sans défaillance/l’euphorie contre la furie des eaux

 

Texte 1

-Moi, Préfet du Morbihan, j’exige que cet immense chantier soit un chantier sans défaillance !

-Du rêve à la réalité, il peut y avoir un gouffre !

-Oui, mais c’est au pied du mur qu’on reconnaît les grands hommes !

-L’euphorie des naïfs contre la furie des eaux !

-Moi, je me garde toujours un coin de ciel bleu dans la tête !

-T’as raison, il faut résister aux heures sombres !

-Poursuis tes rêves, et oublie les contraintes !

-Et c’est parti pour les grandes espérances ! Haut les cœurs !

 

Texte 2

-Les grandes espérances sont parfois déçues. Ne vaut-il pas mieux avoir des projets moins ambitieux ?

-Vraiment, j’en attendais plus de toi ! Allez, les heures sombres sont derrière nous !

-OK. Ce chantier sera sans défaillance, alors !

-C’est ainsi que nous passerons du rêve à la réalité !

-De l’euphorie à la furie des eaux !

-Une poursuite sous contrainte, euh, non ! pour sûr, et sans contraintes !

-Sauf que, quand on est au pied du mur…

-Eh bien, on l’escalade, on s’allonge au sommet, et on contemple le coin de ciel bleu ! Qu’est-ce qu’elle fait, d’après toi, Clodine ?

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Grisette a écarté le rideau.

Encore des Messieurs de Paris, soupire-t-elle, cravate et air sérieux. À  leur façon de nous regarder, on croirait qu’on est des bêtes de zoo. Ça fera l’affaire du Père Thomas, à Trégnanton. Il va en facturer, des p’tits blancs des bords de Loire. Et puis, les pommes à la maison Poulou, il va les vendre au prix fort.

Elle, Grisette, elle n’ouvrira pas le cabaret ce soir. Pas envie de faire danser les jeunes. Le piano restera muet.

Avec leur projet de barrage, là-bas, ils vont tous nous faire disparaître. L’ardoise grise et la mordorée, que les gars arrachaient par tonnes à la roche, ça sera bientôt fini. Tous les corps de métiers, les fendeurs et les contremaîtres, et les bateliers, et nous, sur le canal. Le café, l’épicerie, le four à pain, les fermes, les maisons éclusières… Tous ceux-là qu’on connaissait. Toute une époque qui fout le camp.

Finie, la navigation intérieure. Armand qui fermait l’écluse à Pouldu, et qui filait sur son vélo pour ouvrir celle de Baraval.

Il est parti avant de voir tout ça.  A cause d’un batelier, qui a compté fleurette à Jeanine. Lui aussi, il devait aimer sa gorge, surtout quand elle était nue. Jeanine ne voulait plus s’occuper de la ferme, elle rêvait de partir, et de naviguer. Armand avait compris. Pas besoin de lui expliquer. Sa gorge à lui, il l’a confiée à la corde. C’est ce matin qu’ils l’ont retrouvé, pendu à un arbre, du côté de l’écluse.

Grisette replace le rideau. Armand était son petit frère. Il ne verra plus jamais les bateaux passer. Les travaux du barrage commenceront bientôt.

Dominique

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Dialogue à deux

— Est-ce que c'est au pied du mur que l'eau passe dans le tuyau ?

— Sans doute, car comme le dit un jour un père à sa fille: Tu vois l'eau, au pied du mur? Eh ben elle est là et hop, elle passe dans le tuyau et hop, ça fait de l'électricité, tu comprends le bordel ?

— Non, je comprends pas comment la fée Electricité, elle fait pour passer dans un tuyau...

— Et bien, imagine la course de l'eau, limpide et enthousiaste, un peu comme une poursuite sans contrainte, vois-tu? Tout à coup, un mur se dresse et, comme seul salut, un tuyau... ni une, ni deux, l'eau s'y glisse et hop, ça fait de l'électricité. Tu comprends le bordel ?

— Sans contrainte, tu dis ? T'as déjà essayé de te glisser dans un tuyau toi ? Moi j'ai fait père Noël comme boulot, ben j'vais te dire, je vois ça pareil, sauf que c'était pas l'électricité de l'autre côté, c'était du feu... Une heure sombre !!

— Ou comment passer du rêve à la réalité, surtout pour l'enfant qui trouve les restes du barbu dans les cendres, forcément, après, les grandes espérances changent de... paradigmes, ça détonne comme dernier mot, non ?

Régine + Gwenaël 

 

Fragments rassemblés

Et au fond coule une rivière...

Gorge profonde, mise à nu... Le lac asséché, le temps d'une révision complète du barrage, cette montagne de technologie. Pente vertigineuse de béton brut en aval, vers la centrale. Crête hérissée de tubes, rails, poutres et passerelles, enchevêtrement de fer rouillé et tôle galvanisée. L'oeil irrésistiblement glisse vers l'amont, vers le vide, vers l'assec... Cascades de roches noires, falaises de schistes rongés ouvertes sur des vallées sèches, souches fossilisées, terres craquelées, fissures, crevasses, caillasses qui ripent sous les pas, poussière d'argile, la ligne poudreuse d'une route provisoire qui serpente vers le pied de l'ouvrage.

Et au fond coule une rivière, indifférente aux hordes de touristes qui crapahutent sur ses pentes, escaladent les murs des écluses découvertes, pillent les pierres noircies par le temps, profanant de mille manières ce sol sur lequel ils ont posé le pied, site lunaire qu'ils ne reverront peut-être jamais, qui de leur vivant ne sera peut-être plus révélé au grand jour. Qui sait, dans cinquante ans, si ces gens ne seront pas eux-mêmes fossilisés...

Dans quelques semaines, le calme reviendra. Dans trois mois, l'eau aura repris ses droits. Le lac rempli, de nouveau, on oubliera qu'au fond, un village a vécu, sans électricité, jusqu'au jour où un sous-préfet passant par là aura l'idée folle d'un barrage. Un chantier de sept années. Une épopée ? La fin d'un monde... Engloutis le verger à Paulou, la guinguette à Grisette, le maréchal-ferrant, la famille Jouan et les autres, les ardoisières, la ferme, le four à pain et les dix-sept écluses, Kergoff, Pouldu, Baraval... Engloutis à jamais par quarante-cinq mètres de fond, sous cinquante et un millions de mètres cubes d'eau... Vous voyez de l'eau ? EDF y voit « un territoire, une source d'innovation, d'emplois... et d'électricité ».

Gouer-ledan, le ruisseau large... Entre les berges reverdies de la retenue, piquetées des silhouettes noires de pommiers oubliés, le Blavet coule, placide. Suivre sa navigation intérieure, faire le vide, abstraction de la foule, se concentrer sur l'impression, un exercice difficile...

Régine Bobée

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